
Episode 24
Je vous remercie pour l’invitation, je suis à l’heure ?
Oui, on a eu une crise de confiance, c’était juste à la fin du Libéria.
On a été sujet, vous savez, à cette frénésie du début, cette passion des premiers instants, et puis, on en a fait des virées ensemble : l’Espagne, l’Albanie, l’Ecosse, le Portugal.
Souvent, je la regardais et je lui disais combien j’aimais son indépendance, sa constance mais aussi l’impertinence de ses sursauts d’orgueil.
Et puis sur une plage du Libéria, la vie nous a séparé.
Rien de grave, hein… c’est juste que les gens qui s’occupaient du lieu où on dormait ne voulaient pas qu’on reste ensemble. Lily a dormi à une centaine de mètres de ma tente et comme on est resté là-bas quatre jours, ben on ne s’est pas beaucoup parlé.
Une fois par jour pourtant, je passais lui dire bonjour, m’assurer qu’elle allait bien.
Mais elle parlait peu.
Au moment de partir, je sentais bien que quelque chose s’était immiscé entre nous. Je ne savais pas encore que c’était un simple clou.
On a roulé, comme d’habitude.
Le pneu arrière se dégonflait peu à peu. Lily n’a pas su me le dire, ou moi je n’ai pas su l’écouter.
Sur la route bitumée, à plus de 100 à l’heure, Lily a vibré, puis elle s’est affalée.
J’ai tenté de la redresser, de la maintenir droite, mais sentant qu’il n’y avait pas d’autres issues, je l’ai couchée d’un coup de poignet.
Je l’ai couchée d’un coup de poignet, afin qu’elle ne parte pas en vrille et tandis qu’elle glissait sur une centaine de mètres, je tourneboulais derrière elle.
On s’est relevé meurtri, mais pas assez en comparaison de la chute ! Le destin nous a imposé de nous repenser. On s’est donc retrouvé. J’avais le sentiment de vieillir tout en lui prêtant une éternelle jeunesse, je devais comprendre qu’elle aussi prend de l’âge. Et il est préférable de s’enorgueillir de notre expérience plutôt que de regretter notre fraîcheur passée.
On a réappris à s’écouter, à se faire confiance et à s’estimer.
Ce n’est pas le voyage d’un poète seulement, mais celui de deux aventuriers, motards surtout.
Nous sommes un tout !
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