Prologue

Prologue

Vendredi, Octobre 18, 2024 [ROMAN]

Prologue IOVMEDR

Vous vous réveillez avec la certitude que vous mourrez avant la fin de l’année !

Nous sommes le 2 janvier 2024. Comme tous les matins, vos cauchemars vous ont réveillés vers 7 heures 30 avec le souffle court. Vous sortez de votre tente. Vous prenez place dans votre chaise de camping. Vous allumez un cigare de piètre qualité. Vous regardez le soleil se lever.

Comme tous les matins vous pleurez.

Vous avez beau savoir que ces cauchemars ne sont pas la réalité, votre colère vous empêche de vous calmer immédiatement. Vous avez besoin de ce temps, de ce moment, de cette heure, pour que vos pulsations redescendent, pour que vous soyez prêts à affronter la réalité.

Vous n’avez plus grand chose : une moto, une tente et beaucoup de courage.

C’est tout.

A chaque respiration, un nouveau problème passe furtivement dans le coin de votre œil.

Il faut agir, faire quelque chose, oublier ces procès, vous éloigner de la vie des autres, des jalousies et des coups bas.

Vous pensez à vos enfants, à la femme qui partage votre vie, à tout ce que vous avez construit. Il faut provoquer le changement, même au prix de tout cela. Rien ne mérite de vous mettre sur les genoux de cette manière, ni votre ex-femme, ni les salauds qui oublient leurs promesses, ni vos soi-disant amis, toujours là en cas de succès et inexorablement absent lorsque vous tombez.

Il est temps d’arrêter la chute, de vivre comme si votre prémonition était vraie : vous pourriez mourir demain…

Et alors ?

Tout en dégustant ce cigare qui vous arrache le gosier à peine éveillé, vous repensez à votre maman, cette femme qui a quitté le monde à 52 ans, malade depuis 48, des suites d’une longue maladie peu connue, la maladie du docteur Charcot ou sclérose latérale. Vous pensez aussi à votre grand-père, parti à 48 ans à cause d’un cancer du côlon ou la sœur de votre maman partie à 50 ans d’un cancer du poumon.

Il n’est pas utile de se demander pourquoi !

Vous avez surtout envie de comprendre comment !

Comment on fait pour survivre à cela, pouvez-vous dompter le destin ? Ou alors simplement l’accueillir en faisant de votre mieux pour partir heureux, du moins satisfait, au minimum en paix.

Vous vous levez. Vous êtes en slip, enroulé dans un pull polaire avec un chapeau de cow-boys pour résister au froid. La neige recouvre encore les prés qui vous entourent. Vos pieds, chaussés de pantoufles, vous mènent faire quelque pas, comme pour étirer vos muscles. Le soleil a déjà commencé son ascension.

Vous revenez vous asseoir.

Cigare !

Cela fait maintenant plus de six mois que vous vivez dans votre tente. Heureusement, à l’époque vous y aviez mis un certain prix, sans savoir qu’elle allait devenir votre maison pour un long moment. Parfois vous dormez chez votre amie, parfois chez votre sœur, parfois dans votre bureau, et lorsqu’il fait vraiment trop froid, vous vous glissez dans la cage d’escalier d’un immeuble en espérant que personne ne vous éjectera avant le matin. Toujours dormir à l’étage le plus haut afin de minimiser les chances d’être découvert par les habitants du lieu.

Mais cet instant matinal avec cigare et café, c’est non seulement un besoin, mais aussi un plaisir. Vous vous foutez la santé en l’air, très clairement, mais est-ce que la vie en vaut la peine ? Elle ne vous le rend en tous cas pas parfaitement bien, cette vie.

Vous avez tendance à penser qu’elle est injuste, que vous êtes seul dans cette situation à la fois horrible et inacceptable, mais en ce moment, alors que la fumée tapisse vos poumons d’un goudron agréable, vous vous sentez en communion avec tous les pauvres, les reclus, les oubliés. Ce n’est pas de l’injustice, c’est la volonté des hommes, ceux qui dirigent le pays, ceux qui regardent ailleurs, ceux qui se pensent intouchables.

Vous prenez une taffe de votre cigare en vous rappelant cette fois, il y a trois mois, dans ce tribunal genevois, où lorsque vous avez expliqué votre vie aujourd’hui, la juge s’est gentiment moquée de vous : “cela n’existe pas, vous exagérez le trait, bien essayé”.

C’est fou comme dans la tête des gens, l’innommable n’existe pas. Sinon la réalité serait trop difficile à vivre. Vous êtes reparti à moto, laissant le vent sécher vos larmes tandis que vous enragiez dans les profondeurs de votre casque.

Vous êtes à l’aube de vos 50 ans.

Si votre prémonition est correcte, cet autre demi-siècle ne sera jamais prévu pour vous. Que feriez-vous s’il ne vous restait que 12 mois à vivre ?

Un plan prend corps dans votre esprit tandis que vous attaquez le dernier tiers de votre cigare. D’autres mettraient fin à leur vie, ou profiteraient de ces derniers mois pour faire payer aux autres, aux méchants, à ceux qui les ont placé dans cette situation précaire, vous, vous vous mettez à les ignorer, à les oublier.

Si vous profiteriez de ce temps pour vivre le rêve d’une vie ?

Le temps que vous profitiez de votre “au moins une fois dans sa vie”, vous reviendrez reposé, calmé et satisfait. D’ici là, une bonne partie de vos procès serait terminé. Vous aurez peut-être enfin divorcé. La situation économique de vos entreprises aura peut-être pris le virage tant désiré.

Et si en effet, il vous fallait mourir d’ici là, vous le ferez en paix, au guidon de votre moto, en train de réaliser votre rêve d’enfant.

Ce plan commence à se dessiner plus solidement. Vous en discernez son espace et son temps. Avant de partir, il va falloir en régler des choses : il est important de ne pas fuir, mais de mettre chaque personne chère à votre cœur dans les dispositions les plus favorables possibles afin que vous puissiez réaliser votre projet sans vous retourner.

Vous vous relevez une fois encore. Vous avez un sourire au coin de lèvres que vous aviez perdu depuis presqu’une éternité. Vous vous rendez compte que depuis quelques mois, vous ne faites que subir la vie : il est temps de la dompter.

Votre projet est simple : vous relierez le Sud de la Suisse à l’Afrique du Sud en moto solo. Cela vous prendra des mois, voire des années, vous allez partir sans limite de temps. Vous partirez le 14 octobre 2024. Il n’y a pas de raison à cette date précise, seulement que vous partirez dans le but d’éviter la saison des pluies dans l’hémisphère sud et avoir le temps de vous occuper de rendre ce voyage agréable pour vous, mais surtout pour ceux que vous aimez afin qu’ils ne se sentent pas abandonné.

Vous éteignez le cigare dans la neige avant de le jeter dans le sac poubelle près de l’entrée de votre tente. Vous commencez à réunir vos affaires de toilettes. Vous vous lavez sommairement. Vous vous habillez. Et vous paquetez le tout.

Il est temps de commencer à préparer votre départ.

Stephane
Ecrit
Lundi, Octobre 21, 2024
C'est vrai qu'il nous manque ce sourire! Bonne route et bonne chance!
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