
Episode 6
Biais du Portugal
Ils sont venus par millier
Dans les années 80
Moi j’avais quoi, 7 ans, 8 ans
Elle s’appelait Margarida
Elle vint s’asseoir à côté de moi
Elle ne parlait pas français
Du moins, pas tout de suite
On ne savait pas
Que le Portugal avait été
Maître du monde
Empereur des mers
Personne ne nous a expliqué
Qu’ils venaient pour travailler
Mais surtout pour éviter
Que leurs fils partent en guerre
Sur des continents éloignés
Pour nous simplement
Ils sentaient la transpiration
Ils construisaient des maisons
Ils en nettoyaient, aussi
Ils étaient « les étrangers »
Et puis d’autres sont venus
Alors les étrangers d’avant
Sont devenus les résidents
Les amis
D’étrange, ils sont devenus « mélange »
Ils ont eu des enfants
Qui sont aussi nos enfants
Et ces frontières politiques
Sont devenues magnifiques
Ils nous vantaient la Suisse
On leur enviait Cristiano
Ils nous expliquaient
La beauté de nos paysages
Et nous leur disions « merci »
Ils étaient intégrés, sages.
Mais on ne savait pas que
La bienveillance n’avait qu’un sens
Et nos relations manquaient de sens
Personne ne m’avait expliqué.
Parfois je pense à Vasco de Gama
Ou à Margarida
A ce qu’elle est devenue
A ses enfants, peut-être
A son mari, peut-être
A nos différences… peut-être
Vraiment ?
Moi, ces étrangers sont devenus mes amis
Je porte toujours dans mon cœur
Un brin de nostalgie
Je les ai rencontrés dans la rue
Je les ai connus dans les vignes
Je les ai aimés sur nos chantiers
Quand pour me payer à manger
Je faisais un job d’été
Le temps a passé
Et je regrette le temps où j’expliquais mon pays
Plutôt que de m’enrichir du leur
Alors je suis parti voir d’où il venait
Et j’ai vu !
J’ai vu des paysages incroyables
Des plages infinies
Des falaises robustes
Des cols majestueux
Des édifices merveilleux
Des vagues monumentales
Des chemins serpentueux
Des ruines surprenantes
Et des phares vigoureux
J’ai rencontré des gens besogneux
Des travailleurs énergiques
Aux sourires agréables
Je ne savais pas
Qu’ils étaient
Obnubilé
Par le fait de partager
Du sud au nord
Chaque plat
Est servi pour quatre
A vous de trouver des amis
Si vous ne voulez pas finir gras
Le Portugal est deux fois plus grand que la Suisse
Deux fois plus peuplé
Le cœur deux fois plus ouvert
Il y a dans chaque regard
La certitude d’avoir découvert
Le chemin qui mène aux Indes
Ce n’est pas de la fierté
Mais de la gaité
De l’avoir réalisé
Ils mangent du poisson
Du cochon
Du jambon
Et tout ce qui ferait frémir
Leur occupant musulman
Mais ça c’était avant
On ne m’avait pas dit
Que je serai subjugué
Par tant de beauté
Par leur plage déserte
Et leur francesinha
J’ai toujours pensé
Que leur pays devait être laid
Puisque jamais
Ils n’en parlaient
Aujourd’hui je me dis
Que s’ils ont été si discret
C’est par respect
Mais aussi
Pour garder leur secret
Maintenant que j’ai découvert
Le pays de mes amis
Je reviendrais souvent
Pour leur vanter leur paysage
Leur cuisine et leur plage
Et qui sait peut-être
Comme le Portugais devenu suisse
Je suis un Suisse
Devenu un petit peu Portugais
Mais chut !
Ceci est un secret !
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