81. "Je ne pensais pas qu'il était comme ça !"

81. "Je ne pensais pas qu'il était comme ça !"

Vendredi, Mai 16, 2025 [ROMAN]

Chapitre 81 IOVMEDR

Il fait bon vivre dans ce pays, la Namibie. Alors que les Allemands sont partis depuis longtemps, le colonialisme germanique a marqué avec force la culture des gens d'ici. Vous avez l'occasion durant cette semaine pluvieuse de parcourir les villages, de visiter des maisons dans lesquelles on vit comme dans le temps.

Ce qui change toutefois, avec la Namibie, c'est que ces maisons d'antan ont le wifi, alors qu'on prépare l'huile de marula en les pressant à pieds nus, les femmes tenant le bas de leur robe dans leurs mains.

Vous êtes accueilli chez une famille qui possède, non pas des pièces, mais des huttes qui représentent des pièces. Une hutte pour les garçons, une hutte pour le mari, le chef de famille, dans laquelle il vit avec sa première femme. Une hutte pour ses autres femmes, qu'elles partagent avec ses filles. À l'entrée du domaine, une palissade en bois pour se préserver des voleurs, mais surtout des animaux, gardée par les fils en âge de porter les armes. Immédiatement après l'entrée, un feu de bois posé à même le sol qui partage l'espace sans toit en trois parties : la partie centrale, pour les membres de la famille, la partie de droite et la partie de gauche pour les visiteurs. Si ces derniers viennent avec une bonne nouvelle, ils s'assoient à droite, dans le cas contraire, à gauche. Cela permet immédiatement de savoir le ton sur lequel la discussion va s'engager.

Lorsque vous pénétrez cet espace, vous vous asseyez à droite. Mais à gauche, assis sur un tronc d'arbre mort, un jeune homme attend son hôte. Il est porteur d'une mauvaise nouvelle. La dernière des filles de la maisonnée est enceinte, il est venu avouer sa culpabilité.

Vous sortez pour les laisser débattre en paix.

Vous visitez les femmes en train de distiller l'alcool de marula, une activité réservée aux aînées, qui se transmet de mère en fille.

Les deux hommes de tout à l'heure vous rejoindront bientôt pour s'enivrer en se tapant sur l'épaule.

Après une semaine de découvertes culturelles, votre pied et votre épaule sont en passe d'être guéris. Vous reprenez votre moto pour poursuivre le voyage en direction de Windhoek, la capitale de la Namibie dans laquelle se trouve le fameux garage Honda qui vous permettra enfin de guérir totalement Lily.

Cette Namibie, pays hors-catégorie des lieux communs africains, est un pays surprenant. Les gens sont sympathiques, mais plus froids que dans les pays précédents. Ils sont surtout très organisés et un peu plus égoïstes. Ce pays fait vraiment penser à l'Allemagne ou à un pays scandinave. La criminalité y est presque inexistante et la pauvreté a été bannie des lieux de grande fréquentation.

Vous prenez conscience que votre voyage touche bientôt à sa fin.

Pas forcément avec l'idée de rentrer en Suisse, vous ne vous sentez pas prêt, mais il y a une sorte de finalité à cette phase africaine. Vous décidez de profiter de vos trois mois de visa en Namibie en commençant par aller visiter le sud du pays. Vous souhaitez ardemment retourner dans le désert, découvrir les paysages lunaires et surtout, revoir l'océan.

Vous profitez de la capitale pour vous acheter quelques habits, remplacer votre chaise de camping et acheter de nouvelles lunettes.

Chaque endroit où vous vous arrêtez dans ce pays, il y a toujours une place équipée pour y mettre votre tente. L'équipement consiste à avoir à chaque emplacement un peu d'électricité, un peu d'eau et un foyer prévu pour le barbecue.

Là où l'Angola vous a paralysé comme un coup de foudre, la Namibie est un pays qui se laisse découvrir, vous tombez amoureux, mais peu à peu, chaque jour ouvrant dans votre esprit une fenêtre magnifique inattendue et inexplorée.

Vous avez hâte de continuer vers le sud.

Cela fait longtemps que vous n'avez plus fait de pistes avec Lily et le sud de la Namibie semble être l'endroit idéal pour parfaire votre technique de pilotage dans le sable et la terre.

Il vous tarde de prendre la route.

Jipé ne répond plus. Vous lui envoyez des courriers recommandés pour tenter de le persuader de discuter avec vous, mais chaque courrier reste sans réponse. Sans trop y croire, vous vous présentez encore une fois à son établissement, mais rien ne change.

Vous appelez Marilou, pour lui demander d'intercéder en tant que médiatrice, car d'une part, elle le connaît bien, mais aussi et surtout parce que son meilleur ami est le beau-frère de Jipé.

Je veux que tu me laisses en dehors de ça.

C'est étrange comme réaction, car vous n'êtes pas encore divorcé, qu'elle est garante de certains emprunts de votre société et qu'elle possède quelques actions dans votre entreprise. Elle devrait vous aider, sinon pour le souvenir des 30 années passées, au moins pour garantir que vous ne l'emporterez pas dans votre chute si vous deviez tomber, mais elle ne veut rien entendre.

Elle aussi, encore.

Elle lâche sans prendre des pincettes :

Tu sais, lorsqu'on a tenté de résoudre notre divorce devant cette avocate, début mars. J'étais effondrée par l'échec de notre tentative, j'ai téléphoné à mes amis et je suis montée chez Jipé pour qu'on mange ensemble. Tu te doutes bien que je leur ai tout raconté, je n'ai pas été tendre avec toi. Je me vois mal demander à Jipé de t'aider. C'était pas le ton ce soir-là, et ça ne l'est toujours pas !

Ce sera votre dernier échange avec Marilou. Elle décidera dès lors de ne plus vous adresser la parole.

C'est peut-être cela, la croisade de Jipé, vous faire payer votre comportement de mari qui a fait saigner le cœur de son amie.

C'est absurde.

La vie est absurde !

Vous avez de la peine à y croire.

C'est fou, dans un couple, lorsque cela va mal et qu'on décide de se séparer, il n'y a pas de coupable unique, c'est souvent une responsabilité partagée quels que soient les actes de chacun. Qui va prendre parti pour l'un plutôt que l'autre, sans imaginer que le problème est bien plus profond que les apparences.

Votre humanité vous joue des tours, personne ne souhaite réfléchir ainsi. La vie est bien plus romanesque lorsqu'on envisage les gens de manière manichéenne. Cette vision nous permet de devenir le héros de sa vie monotone.

Vous terminez votre verre de maroula en pensant à cette réflexion : nous avons tous entendu quelqu'un, après un événement, se rendre compte que la personne dont on vient de vous parler "n'était pas comme ça, que vous ne vous en rendiez pas compte, que cela vous étonne".

C'est simplement parce que c'est vrai : la personne dont on vous parle n'est pas comme ça !

Si vous aviez pris le temps d'y réfléchir, vous vous seriez rendu compte que ce changement de paradigme ne résiste qu'au point de vue absurde qu'on vient de vous en faire.

Réfléchir à ce genre de situation de manière émotionnelle rend toute chose déraisonnable, il est bien dommage que l'intelligence de chacun ne soit pas capable de faire la part des choses.

Vous haïssez la bêtise !

Vous n'en pouvez plus de ce genre de processus.

Vous prenez votre courage à deux mains. Vous écrivez une lettre pleine d'amitié à Jipé, pour mettre un terme à tout ceci.

Vous lui rappelez le temps où vous étiez ami, vous évoquez votre mariage et l'atrocité d'une séparation après trente ans, vous mettez à nu vos problèmes financiers et votre besoin de trouver une solution rapide à tout cela. Il ne s'agit pas de l'amadouer, il s'agit de lui rappeler votre amitié et la responsabilité morale qu'exige une telle relation.

Jipé n'y répondra jamais.

Il demandera au contraire à un juge la mise en faillite d'HENIGMA.

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