
Chapitre 76 IOVMEDR
Vous êtes bien, dans cette petite ville de Lobito. L'endroit est magnifique, proche de l'océan, le restaurant est agréable, il fait des pizzas, mais aussi de la nourriture traditionnelle et du poisson. Il propose des Cohiba à moindre prix. Le propriétaire, Alfredo, est un jeune homme d'à peine 30 ans, travailleur et dévoué. Il étouffe un passé alcoolique qui lui a fait perdre femme et enfants. Il est sur le chemin de la rédemption. Lily est partie avec le monsieur du club de moto, Lodi, qui s'en occupe bien. Il vous envoie régulièrement des nouvelles. Il tente de souder le tout pour que ça tienne. Il est confiant, vous aussi. Il profite de changer l'huile, de faire quelques retouches, il y met du cœur.
Vous attendez à la plage, passant de la chaise longue à l'océan, puis au restaurant, puis retour sur le transat.
Demain, vous allez avoir un demi siècle.
Vous n'avez jamais aimé votre anniversaire. C'est comme si une fois par an, le temps vous expliquait qu'il existait vraiment. Vous n'aimez pas le savoir. Vous préférez ignorer votre vieillissement, conscient que prendre de l'âge, c'est avant tout un état d'esprit.
Vous avez toujours eu un problème avec cette idée de vieillesse. Ce n'est pas pour rien si la plupart de vos intimes vous appellent Peter Pan. Déjà, votre prénom, en anglais, c'est Peter. Ensuite, si à 15 ans vous espériez devenir majeur aussi rapidement que possible, -certainement dû à l'ambiance à la maison-, vous avez très vite souhaité ralentir le mouvement une fois devenu "grand". Chaque année qui passe est une année de trop. Vous êtes un homme de projet, un homme d'avenir, un homme qui réfléchit en "je ferai" plus qu'en "j'ai fait".
Vous n'aimez pas les regrets, vous préférez apprendre de votre vie passée, et plutôt que de corriger, laisser "être" et progresser, activer vos enseignements sur vos actions futures, ne pas vous reprendre sur les erreurs du passé.
Car des erreurs on en fait tous, non ?
Adolescent, vous étiez persuadé de devoir profiter de la vie sans répit, car vous faisiez partie de ces gens qui meurent tôt. Vous avez vécu toute votre vie en brûlant la mèche par les deux bouts, comme si le temps, à chaque fois, vous manquait.
Ce matin, vous vous êtes réveillé sans y croire vraiment : vous avez cinquante ans.
Une sorte d'erreur de destinée, mais les faits sont là : vous avez passé la bonne moitié d'une vie.
Vous qui pensez en "demain", vous savez que le futur qui vous attend sera dès aujourd'hui avec certitude plus court que "hier". Vous ne vous l'avouez pas, mais vous le ressentez déjà dans vos muscles, dans vos articulations et dans votre souffle : vous êtes un humain "d'occasion" qui mériterait quelques réparations : une nouvelle hanche, peut-être une opération de votre hernie discale et quelques autres trucs comme vos dents ou vos cheveux.
À force de vouloir faire la nique au temps, ce dernier a imprimé sur vous les preuves de son existence et de son efficacité sournoise.
Vous n'êtes pas inquiet pour Lily, vous avez eu tellement peur qu'on vous annonce la fin du voyage ! Une réparation impossible ! Mais Lodi est confiant. Vous savez que la chirurgie qu'il mène sur votre monture est nécessaire et délicate. Pourvu que ça tienne... et que ça ne coûte pas un bras !
Lorsqu'il ramène la moto, vous en avez gros sur le cœur. Mais Lily fonctionne bien. Vous faites quelques kilomètres pour vous en assurer. Lodi sourit.
- Merci mon ami, c'est un excellent job. Dis-moi combien je te dois pour ton travail ?
- Oh, rien, vraiment, ça m'a fait plaisir de t'aider. On est des motards, tu sais...
Vous avez envie de pleurer.
Vous tentez de l'inviter à manger, à boire un cocktail ou autre chose, mais il refuse poliment. Il vous écrira.
En janvier, vous subissez la pression de votre équipe.
Les chiffres transmis par Jipé sont impossibles, vous perdez trop d'argent, il faut agir.
Vous vous décidez pour la manière douce. Vous invitez un ami compositeur à venir manger avec vous dans ce restaurant d'Anzère. Vous prévenez Jipé de votre venue et aussi de votre intention de faire jouer votre invité.
Le rendez-vous se passe naturellement, vous mangez, vous jouez, vous prenez même le café avec Jipé en fin de soirée.
Ce petit tour de passe-passe vous permet de comprendre plusieurs choses : le jeu est disponible, il est jouable, mais les personnes qui s'en occupent ne sont pas très sérieuses. En effet, sur les 12 cubes, vous en testez 8, dont la moitié n'ont pas été remontés conformément aux instructions, ce qui rend le jeu injouable. Les éléments de décors et la musique ne sont pas mis en exergue comme vous l'aviez indiqué. Le responsable n'utilise pas le bon vocabulaire, lorsqu'il est là, car s'il est censé passer régulièrement durant l'heure du jeu, vous ne le verrez qu'en fin de session. Son briefing a d'ailleurs été déplorable. Plus tard, votre directrice vous dira que la personne l'a contactée pour demander de régler votre billet pour avoir joué. Payer pour jouer à votre propre jeu qui vous appartient. C'est burlesque. Et c'est en ce sens que votre directrice a refusé catégoriquement.
C'est fou, parce que cette personne, vous êtes venu la former en personne au début de votre collaboration. Vous commencez à comprendre que Jipé se joue de vous. Vous ne comprenez pas exactement ce qu'il se passe, mais le fait est que personne ne veut s'occuper du jeu, que ce dernier est mal exploité et vous comprenez les mauvaises critiques et les mails de mécontentement que vous recevez depuis un mois.
Vous évoquez le sujet très en surface avec Jipé au moment du café, mais vous lui promettez de revenir pour en parler avec lui. Ce n'est pas le moment. Vous êtes avec votre invité.
Nous sommes mi-février 2023.
- En passant, j'attends toujours les chiffres de janvier, s'il te plaît.
Jipé a le regard qui fuit !
Vous reprenez la route en direction de Namibe. En effet, si Lily va bien, il y a toujours ce problème d'ABS que seul un ordinateur Honda pourra raisonner. Lodi a un ami qui maîtrise ce genre de réparation. Il a déjà prévenu que vous arriviez. Il vous attend aux portes du désert, à Namibe, au sud de l'Angola, à quelques 4 heures de route.
Vous avalez les premiers 80 kilomètres sur le bitume, vous passez Lubango lorsque soudain, Lily s'éteint.
Vous vous asseyez au bord de la route.
- Lodi, on a un problème, la moto s'est éteinte, elle ne s'allume plus du tout, je crois que la batterie est morte.
- Je viens te chercher, envoie-moi ta position.