
Chapitre 75 IOVMEDR
Le trajet jusqu'au Pedras Negras est magnifique, la route est belle et on distingue ces énormes boules de roches depuis loin. Ce décor vous rappelle vos montagnes. Vous suivez la route du GPS qui vous emmène jusqu'à un village situé au centre de ce cirque de pierres noires. Vous quittez alors le bitume pour vous enfiler dans un chemin de terre.
La vue est exceptionnelle, même si vous sentez encore plus qu'hier que votre vue a baissé. Vous ne voyez pas moins bien, non, mais vous voyez plus bas. Vous êtes persuadé que d'habitude, votre regard, lorsque vous roulez tranquillement sur le bitume, passe généralement au-dessus de la vitre de protection, mais peut-être qu'il y a eu un problème avec votre bulle. De plus, les panneaux latéraux continuent de vibrer tout en s'éloignant de la carrosserie. Vous vous arrêtez dans un village pour acheter de la colle ultra-rapide et vous remettez en place les panneaux latéraux de Lily.
Vous poursuivez votre route vers Lobito, le lieu que vous avez choisi pour fêter votre anniversaire, une petite ville portuaire au bord de l'océan. Sur le chemin qui vous emmène, une belle route de goudron avec d'énormes trous, surprenant.
Vous en évitez peut-être plus de 5'000, mais le dernier, vous ne pouvez que sauter sur vos cale-pieds pour tenter d'en amortir le choc.
Vous parcourez cinq cents mètres supplémentaires avant de vous arrêter : votre pneu arrière est percé, la jante est pliée. Votre premier réflexe est de vous féliciter d'avoir écouté votre moto et de vous être arrêté. Même situation qu'au Libéria, mais sans tomber cette fois-ci.
Vous commencez à comprendre les procédures africaines, vous vous asseyez au bord de la route, quelqu'un va bien vous aider !
En effet, très vite des hommes vous prennent en charge, on vous pose dans un restaurant pas loin, un des gars décide de prendre votre roue arrière pour aller la réparer dans la ville à une heure de votre position en vous priant :
- Profite de ton temps, bois, mange, mais ne viens pas. Si tu viens, le prix va augmenter.
Alors vous buvez, vous mangez, vous prenez du bon temps. Il y a une heure pour aller en ville, une heure pour revenir, vous comptez deux heures sur place pour réparer, -pourvu que ce soit réparable-, et donc vous avez quatre heures à tuer.
Vers 16 heures seulement, le gentil monsieur revient. La jante a été réparée, il vous demande l'équivalent de 20 EUR pour la peine.
Vous remerciez tout le monde avant de reprendre la route, vous n'arriverez pas à Lobito aujourd'hui, vous faites une pause dans un petit hôtel au bord de la route, dès la nuit tombée.
Jipé vous annonce les chiffres de décembre : zéro pointé. Personne ne s'est présenté pour le jeu. C'est étrange. Vous êtes en station, la station est pleine de touristes, vous avez investi plus de 10'000 CHF dans la pub et cerise sur le gâteau, il n'a pas neigé. Les touristes doivent se replier sur des activités annexes au ski en attendant une météo plus clémente.
À Sion, vous avez fait une augmentation de 45% rien que sur les deux semaines de vacances, à Yverdon, pareil.
N'avoir aucun client vous semble suspect.
De deux choses l'une : soit Jipé vous ment et encaisse au noir, soit il ne met pas à disposition le jeu pour les clients qui se présentent. Vous décidez de vous soucier de ce problème d'un peu plus près.
Ce qui est certain, c'est qu'un zéro de chiffre d'affaires, durant les fêtes de Noël dans une station de ski, c'est impossible.
À peine le soleil levé que vous reprenez la route.
Lily roule bien. Vous contrôlez la pression de votre pneu arrière toutes les heures, vous n'êtes pas qualifié pour savoir si la réparation de la jante est bien faite, mais vous faites confiance à la pression qui ne change pas. Ça a l'air de tenir.
Et cette sensation de voir plus bas l'horizon que d'habitude, quelle plaie.
Et cette carrosserie qui se décolle !
Et à chaque bosse, la roue arrière fait un bruit étrange...
Pause !
Vous décidez de vous arrêter, de prendre le temps de fumer un cigare et de réfléchir.
C'est sûr, il y a un problème !
À vous de trouver lequel.
Tout en prenant le temps de la réflexion, vous regardez sous la roue, vous dévissez la tension de l'amortisseur pour voir si c'est cela le problème, vous enlevez la selle pour regarder sous vos fesses, mais vous ne voyez rien de particulier.
Vous remettez le tout. Vous regardez latéralement, entre la selle et le réservoir d'essence quand soudain !
Le problème est devant vous.
Sur le châssis, en dessous du réservoir, il y a deux crochets d'acier, coulés dans la bête, qui maintiennent la selle en hauteur : le premier crochet a explosé et le deuxième est entier, mais la vis qui le tient enfermé est cassée.
Forcément que vous voyez plus bas, l'arrière de votre moto frotte sur votre roue arrière, usant à chaque kilomètre le plastique dur qui protège vos fesses par en-dessous.
Vous ne pouvez pas continuer ainsi.
Vous ouvrez votre caisse à outils, vous glissez à la place de la vis cassée le métal d'un tournevis épais que vous tentez de maintenir en place par un fil de fer trouvé dans vos affaires.
Vous gardez bien en tête de ne pas vous asseoir de tout votre poids sur Lily et d'amortir les chocs de la route autant que possible.
C'est debout sur Lily que vous avalez les derniers deux cents kilomètres vous séparant de Lobito.
La route, au sein des montagnes, est magnifique. Mais vous êtes stressés.
Vous arrivez à Lobito en milieu d'après-midi, vous négociez votre place de camping et très vite, vous expliquez votre problème mécanique.
Dans le restaurant, le hasard veut qu'il y ait le président du club de moto local qui est aussi mécano. Il vous promet de passer dès le lendemain pour prendre votre véhicule en charge.
Il est rassurant !
- On va trouver une solution !