
Chapitre 71 IOVMEDR
Vous arrivez à Ouesso heureux d'avoir quitté la frontière du Cameroun. Ces villages de frontières sont souvent très spéciaux et peu représentatifs du pays. Vous attendez beaucoup de ce Congo. Il est temps que cela commence.
L'hôtel est vraiment très sympa avec une cour intérieure qui vous permet de garer Lily devant la porte. Il y a un restaurant / bar en face. Les gens vous regardent bizarrement. Ils ne doivent pas en voir souvent, des blancs, dans ce coin reculé du Congo. D'autant plus que vous n'êtes pas obligé de passer par la ville de Ouesso si vous reliez par la route le Cameroun à l'Angola.
Vous décidez de vous installer dans le restaurant pour commander quelques bières, puis votre repas du soir. Comme souvent en Afrique, il y a beaucoup de choses sur la carte, mais lorsque vous commencez à vous renseigner, vous constatez que presque tout est "indisponible ce soir". Vous demandez donc au chef ce qu'il a envie de cuisiner.
Vous ne savez pas si c'est par esprit de contradiction envers les végétariens hollandais ou pour continuer de tester vos limites, il vous propose du singe.
À manger.
Sans réfléchir.
Vous acceptez.
Vous buvez une bière en attendant.
Le singe est servi en sauce, comme une goulash. Le goût est très prononcé, comme lorsque vous mangez de la chasse, du sanglier par exemple. Ce qui vous choque le plus, c'est le côté humanoïde de la viande. Heureusement que c'est pas évident, mais vous sentez bien en bouche que c'est un bout de la queue et quelques doigts.
C'est très surprenant, vous ne vous attendiez pas à cela. Vous êtes plutôt un "viandard" et vous n'êtes pas très préoccupé par la forme et la taille de ce que vous mangez. Vous comprenez très bien le cycle de la vie. Mais le singe, c'est plus que juste le cycle de la vie. Vous retrouvez dans sa forme quelque chose de trop humain. Vous vous souvenez en particulier de cette famille de babouins que vous avez croisée en quittant le Ghana, cette humanité qui habitait leurs yeux, vous terminez votre assiette, mais le pire est à venir.
Vous passerez une nuit compliquée. De savoir ce cousin sous vos dents, cela vous inspire de grandes réflexions sur ce que nous sommes, ce que nous faisons sur Terre et la brièveté de l'existence. Vous philosophez dans votre lit sans trouver le sommeil. Vous vous sentez un peu idiot au réveil. Il y a des problèmes plus graves sur notre planète. Vous adhérez à cette assertion, mais néanmoins, manger du singe fut une expérience très particulière. Vous savez que sauf forcé, ce sera bien la dernière fois.
"Salut cousin", pensez-vous en reprenant votre moto.
Vous arrivez à Odzala deux heures plus tard. Odzala, c'est un parc national au nord du Congo, pas très loin de la frontière du Gabon. Ce parc est tenu par une société privée sud-africaine sous mandat du pays, afin de préserver la faune et flore locale tout en permettant d'y voir ce qui fait la richesse de la région, les gorilles.
Des gorilles, on en trouve au Gabon, mais vous avez des pantalons en velours, donc inaccessibles depuis que le tyran paranoïaque est au pouvoir. Ou alors ici, dans le parc Odzala au Congo. Vous décidez de vous arrêter. Des bruits courent que c'est hors de prix, mais vous avez appris que votre manière de dire bonjour, souvent en Afrique, définit votre destin. Vous avez envie de tenter votre chance.
Vous arrivez à l'orée du parc, de gentilles dames vous prennent en charge pour vous amener jusqu'au centre du dispositif. Au loin, vous distinguez le mirador vitré qui permet aux touristes de regarder sans danger évoluer ces gorilles.
- Madame, cela fait maintenant presque une heure et demie que je patiente ici ! Vous ne voulez pas me dire le prix pour passer une nuit ici sous ma tente et profiter de votre organisation ? Je n'ai pas beaucoup de budget, mais je tiens à vous remercier pour votre aide. Je mangerai bien entendu au restaurant et paierai la visite. Dites-moi seulement si cela est dans mes moyens ?
La dame, comme à chaque fois, vous ressert un jus de bissam. Elle ne connaît pas le prix, cela change tout le temps. Quelqu'un va venir. Après deux heures d'attente, une dame, blanche, visiblement responsable des relations publiques vient vous voir : - Bonjour Monsieur, merci pour votre patience. Voici la liste de prix. La nuit, c'est 400 EUR petit déjeuner compris. Vous tombez de votre chaise. Il n'y a pas de discussion possible, sur la carte, vous distinguez 3 colonnes afférentes au prix : un prix pour les Congolais (10 EUR/nuit), un prix pour les Africains (30 EUR / nuit) et un prix pour les Blancs (400 EUR / nuit). Vous tentez de négocier, mais impossible. - Vous êtes blancs, vous êtes riches, nous protégeons la faune grâce à votre argent. Voyez ceci comme un don. Vous quittez le parc fâché. Vous ne verrez jamais de gorilles. Vous vous consolez en revoyant les vitres du mirador. Si c'est vitré, c'est comme au zoo ! "On retrouve le moral comme on peut !", pensez-vous en reprenant Lily direction le sud. Vous avez négocié avec Jipé le prix et le contrat, vous vous êtes serré la main, vous souhaitez laisser maintenant votre équipe se charger des détails. Non pas que vous estimez que cela n'entre pas dans vos responsabilités, bien au contraire, mais la vie vous a appris à garder vos distances, en particulier quand deux amis font des affaires. Le contrat est signé. Vous faites livrer le matériel à Anzère. Vous développez toute la partie "jeu" de cette aventure que vous proposez au public dès la fin août ! Une chose vous froisse tout de même. Vous en avez parlé avec votre épouse avocate lors de l'établissement du contrat : vous avez ajouté une clause dite "pénale". Au cas où le jeu ne serait pas utilisé tel que le contrat le prévoit, une somme arbitraire sera versée à Henigma en guise de "dommage". Vous avez estimé cette somme sur la base du prix du matériel, soit 80'000 EUR, mais Jipé s'est permis de tracer ce montant et de le ramener à 1'000 EUR / an. Cela vous froisse. Vous êtes tellement persuadé que ce genre de problème ne peut exister entre deux amis que vous faites semblant de rien. Vous signez à votre tour le contrat. Le jeu est rapidement mis en exploitation !