68. Jardin d’Eden

68. Jardin d’Eden

Mercredi, Avril 16, 2025 [ROMAN]

Chapitre 68 IOVMEDR

En fin de matinée, vous visitez le jardin de Madame Capelin, une femme maintenant retournée en France qui, il y a presque cinquante ans de cela, décidait de créer à Penja un jardin botanique d'une esthétique rare.

Magnifique !

Des arbres immenses, pointant vers le ciel, dont les branches pleurent, formant une haie d'honneur au-dessus de votre tête. Des odeurs qui emplissent vos narines à chaque pas, des couleurs magnifiques qui changent selon la hauteur de votre regard, le tout sublimé par des centaines de sortes d'insectes qui volent autour de vous, papillons multicolores en tête de ce ballet. Cet endroit inspira pour sûr Dieu dans sa conception du paradis terrestre.

Vous tournez votre tête de droite et de gauche, cherchant sans y croire un serpent, un homme et une femme nus, une feuille de vigne recouvrant leurs parties intimes.

Vous vous remémorez ce qu’un doyen vous a raconté, une sorte de cagnotte camerounaise.

Les gens au Cameroun manquent souvent d'argent pour faire des achats plus importants que l'habituel quotidien. Ils ont donc inventé une forme de prêt unique en son genre. En tant qu'éditeur de jeu, ce mécanisme vous inspire. Ce prêt à 0% s'appelle la tontine : vous vous mettez ensemble, dix amis par exemple. Vous acceptez de faire une tontine durant 10 semaines. Chaque semaine, vous vous réunissez à l'occasion d'un apéro durant lequel vous acceptez de poser sur la table chacun 10 EUR. À la fin de la réunion, vous tirez d'un chapeau dans lequel vous avez placé dix billets, chacun portant l'un de vos prénoms, l'heureux gagnant du pot. Ce bienheureux repart donc avec 100 EUR qu'il peut dépenser d'un coup, sans avoir à faire des économies. La semaine suivante, chacun remet 10 EUR au pot, il reste neuf prénoms dans le chapeau et ainsi de suite durant les semaines suivantes.

La somme, le nombre de participants et la durée de la tontine sont à définir entre amis. Vous n'avez, ici, cité qu'un exemple pour l'explication.

C'est amusant de se prêter de l'argent entre amis, mais avec des règles du jeu prédéfinies. Cette forme de partage a tellement de succès que le président actuel du Cameroun souhaite taxer la tontine pour encaisser de l'argent. Cette absurdité vous fait sourire. Les États sont tous les mêmes, de l'Afrique à la Suisse.

Avant Jipé, vous pensiez qu'il était délicat de faire des affaires avec des amis, mais que si vous trouviez une manière simple et transparente de vous arranger, vous seriez alors plus fort que n'importe quel contrat en béton, comme celui que votre avocat vous avait vendu avec Abdel.

L'amitié étant plus forte que tout, un contrat n'est qu'un moyen de régler les différends, mais par la discussion et votre histoire passée, l'amitié résoudra tous les conflits, forcément...

Avant Jipé, vous pensiez cela.

Jipé est un restaurateur d'Anzère que vous avez rencontré en 2012 alors que vous rendiez votre drapeau de bataillon. Vous aviez eu l'honneur durant quatre ans de commander un bataillon d'un millier d'hommes. Vous étiez arrivé à ce moment où vous deviez transmettre son commandement au prochain commandant. Dans la vie d'un militaire, c'est un moment important, émouvant. Vous en aviez partagé des histoires et des anecdotes avec vos hommes durant ces quatre années.

Vous aviez demandé à rendre ce drapeau dans votre commune d'Ayent, dans le village d'Anzère. Pour vous, il était important de terminer cette histoire chez vous, dans votre commune. Vous sachant amateur de cigares, vos hommes vous ont fait la surprise de vous offrir, en guise de souvenir, une boîte de cigares gravée aux armoiries de votre troupe. Une boîte que vous utilisez toujours. Après une cérémonie émouvante, vous vous êtes rendu dans ce restaurant d'Anzère pour y manger avec votre état-major. C'est à cet instant qu'ils vous ont offert ce cadeau, mais le plus impressionnant, ce furent vos mille hommes qui, chacun leur tour, sont venus vous serrer la main et vous offrir un cigare à mettre dans votre nouvelle boîte. Chacun avec un petit mot.

L'armée suisse étant une armée de milice, vous aviez parmi vos hommes un échantillon représentatif des habitants suisses : des riches, des pauvres, des grands, des petits... Chacun vous a offert un cigare selon ses moyens, son envie ou ses préférences. Bien entendu, il y eut trop de cigares pour votre boîte, mais quelle joie, quelle émotion, quel souvenir.

Forcément, après cela, vous ne pourriez plus jamais mettre les pieds dans le restaurant de Jipé sans y penser. Jipé est d'ailleurs devenu votre ami. Vous avez pris l'habitude de venir régulièrement manger chez lui, mais aussi d'y apporter votre famille, vos amis et chaque dîner d'affaires important qui se devait d'avoir une petite part intimiste.

C'est pour cela que ce souvenir est particulièrement difficile.

Car parmi tous ceux qui ont tenté de vous empêcher de rêver, celui qui fut votre ami n'a peut-être pas été le plus gourmand, mais c'est celui dont la lame s'est enfoncée le plus profondément dans votre cœur.

C'est le dernier des quatre !

Aujourd'hui encore vous ne savez pas comment expliquer ce qu'il s'est passé car vous-même n'avez pas compris quelles forces s'exerçaient.

Alors vous décidez d'aborder ces souvenirs froidement, vous raccrochant aux faits, sans les habiller d'interprétations si elles sont douteuses.

Quelques propositions parfois...

Juste des faits !

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