
Chapitre 67 IOVMEDR
Début de partie VI : Dispersion
Vous commencez à prendre le temps de découvrir des lieux magiques, comme cette cascade au centre du Cameroun qui abritait en son temps le décor du film Greystoke avec Christophe Lambert. Un endroit magique, presque secret, vous y êtes seul, vous vous imprégnez des bonnes ondes qui caressent ce lieu.
Vous vous souvenez avec nostalgie de ce moment, il y a si longtemps, où vous avez dû acter la mort de l'ancien vous pour permettre au nouveau de naître.
Cette nouvelle naissance, à presque cinquante ans, est un peu comme l'enfance de Tarzan. Vous évoluez dans un monde inconnu, l'Afrique, avec des gens qui ne partagent pas forcément les valeurs qu'on vous a inculquées, et vous tentez de faire le tri dans toutes ces nouvelles émotions, histoires et éthiques.
Juste après midi, vous arrivez à Penja. Vous êtes reçu par Averell, un responsable de la plantation de bananes, qu'une rencontre à Abidjan vous avait présenté. Averell est un homme à l'esprit vif, mais surtout au cœur grand ouvert. Il vous prend immédiatement en charge. À peine lui avez-vous dit bonjour que voilà Lily toute propre, vos habits en train de tourner dans la machine et votre matériel cassé remplacé, échangé, offert.
Pour la première fois depuis longtemps, vous avez l'impression d'être un enfant pris en charge par sa maman dans un lieu protégé.
Après plus de trois mois de voyage, cela fait du bien.
À la fin de votre lycée, en 1995, tout fraîchement diplômé, vous avez rempli vos obligations militaires en tant que fusilier de montagne (chasseur alpin, en d'autres termes). Sans savoir que cette obligation allait devenir une vraie passion. L'armée a cadré le jeune homme un peu dissipé, lui offrant une formation accélérée mais profonde en pugnacité, recherche de l'excellence et organisation personnelle et sociale. Vous avez eu accès à des formations exceptionnelles qui ont forgé l'homme que vous êtes aujourd'hui. De simple soldat, vous avez gravi les échelons un par un jusqu'à devenir lieutenant-colonel d'état-major général de l'armée suisse, offrant vos compétences à votre armée de milice, mais en y ajoutant un contrat de travail professionnel qui vous liera à la Confédération jusqu'en 2013.
Vous vous rappelez avec émotion vos fonctions particulières comme chef d'état-major désigné du Swiss Raid Commando, celui de chef du renseignement d'une brigade de combat ou le poste de chef doctrine de l'infanterie qui vous permit, entre autres, de participer à la création des forces spéciales suisses au début des années 2000. Cet exemple vous revient de plein fouet, alors que vous ne savez pas encore que cette partie de votre histoire va vous rattraper en soirée.
Vous avez quitté ce métier en 2013 pour tenter de vous lancer à votre compte, de créer votre entreprise dans le domaine de la culture et de vivre de votre passion.
Vous souhaitiez surtout vous rapprocher de votre famille.
Quel gâchis !
Averell vous prend en charge pour vous permettre de vous reposer, mais il vous emmène avec lui pour vous faire découvrir la plantation de bananes, son organisation, comment ils cultivent cette plante jusqu'à sa commercialisation en Europe. Il vous explique la gestion de la sécurité, le contrôle qualité, la logistique nécessaire, du terrain en jachère à la palettisation sur bateau à la capitale.
Votre appartenance helvétique l'inspire, il décide de vous montrer les plantations de cacao. Vous en dégustez le "bonbon" qui se trouve au centre de cette cosse étrange.
Enfin, il vous présente la culture du poivre de Penja, un des meilleurs poivres du monde. Dans votre tête, vous souriez. "Ils disent tous cela", pensez-vous. Mais c'est avant d'avoir goûté, car en effet, vous tombez amoureux de ce poivre d'un coup de foudre puissant. Il a du goût, mais une finesse en bouche qui est rare pour le poivre, souvent plus bourru, plus direct dans son goût. Celui-ci est complexe, son goût tourne en bouche, il brûle avec douceur, comme une caresse amoureuse avant l'ébat.
Il vous en offre un paquet que vous glissez dans vos affaires. Cet Averell est un type incroyable. Vous remerciez les astres qui l'ont mis sur votre route.
Le soir venu, il explique :
- C'est soirée barbecue, je vais t'emmener dans un endroit particulier !
Un grand silence avant d'ajouter :
- Je vais te kidnapper !
Vous souriez. Son ton est plaisant, il n'est pas en train de vous menacer. Il vous propose simplement un jeu, un jeu de rôle, votre nouveau métier.
Vous acceptez. Vous montez dans son véhicule en jouant le jeu. Vous parcourez quelques kilomètres.
Le Cameroun est un pays en paix, mais il se trouve, et on en parle peu, qu'il y a une partie du pays indépendantiste et agressive à l'ouest, faisant frontière avec le Nigeria. C'est la partie anglophone du Cameroun où il est fortement déconseillé de se rendre seul. Cette ligne imaginaire qui sépare les anglophones des francophones est surveillée par des hommes travaillant pour une société privée de sécurité. Ces hommes sont presque tous d'anciens militaires ou légionnaires. L'un d'eux sait que vous êtes un ancien G2 de l'armée suisse. C'est pour vos retrouvailles que ce barbecue est organisé.
Cette nouvelle petite madeleine de Proust inattendue est une parenthèse dans votre voyage. Vous allez y retrouver vos habitudes de militaire, vous allez chanter, déclamer, snoozer, priser du tabac, mais vous allez surtout retrouver sans effort cet esprit de camaraderie que vous aimiez tant dans votre ancien métier.
Ensemble, vous allez dévorer des tranches de bœuf épaisses et goûteuses, agrémentées de poivre de Penja, buvant des bières que vous ne vous autorisez à boire que si le "santé" est issu d'une tradition militaire qu'un ex-soldat présent vous explique.
C'est une magnifique soirée, dans les bois, autour d'un feu qui sert à la fois de lumière et de table de cuisson. Plus d'une fois, vous vous prenez dans les bras, l'alcool aidant, vous échangez sur les expériences passées et sur la vie de militaire de carrière.
Ces hommes que vous ne connaissiez pas il y a quelques heures sont, pour un temps, vos meilleurs amis !
L'un des participants à cette soirée, Kiki, vous expliquera la notion de "continent" qui est le surnom du Cameroun. Vous avez dans ce pays d'Afrique centrale toute l'Afrique qui y est représentée. Vous y trouvez du désert, de la jungle, de la savane, des forêts, presque tous les animaux du continent, les cultures aussi. Votre regard prend du recul. Vous êtes fasciné par ce pays qui, à lui seul, représente... tout un continent !
Vous vous réveillez le lendemain dans votre lit, à la plantation de bananes.
Vous n'êtes pas sûr que cette soirée ait vraiment existé.
Si ce n'est le tabac qui colle encore à vos narines.