
Chapitre 64 IOVMEDR
La douane camerounaise est surprenante.
Vous vous y arrêtez. Vous préparez vos documents. Votre carnet de passage ainsi que votre passeport. Un douanier prend vos papiers et note différents renseignements sur un grand livre. Il vous rend votre passeport et vous indique où vous pourrez faire signer votre carnet pour Lily.
Vous retournez près de votre moto. Par habitude, vous contrôlez juste que tout soit en ordre, mais vous constatez qu’il n’a rien apposé dans votre passeport.
Vous revenez sur vos pas.
- Je crois que vous avez oublié de timbrer mon passeport.
- Non, je ne peux pas.
Vous le regardez d’un air bizarre. Cela, c’est une première !
- Mais…
- Mais rien, Monsieur, bienvenue au Cameroun. Les frontières sont officiellement fermées entre le Nigeria et le Cameroun, je prends donc note que vous avez traversé la frontière, mais comme la douane est fermée, je ne peux pas y apposer un quelconque timbre !
- Mais vous êtes sûr ? Je peux rentrer dans le pays comme ça ?
- Je ne peux rien vous dire de plus Monsieur, la frontière est fermée, point !
Vous constatez qu’en même temps, il ne vous a pas demandé une copie du visa que vous n’avez pas. Vous hésitez à vous battre, au moins un peu, pour obtenir le droit officiel de rentrer dans le pays, mais l’homme en uniforme n’a pas l’air de vous empêcher d’avancer.
Vous prenez donc votre moto pour poursuivre la route.
Un peu plus loin, vous faites tamponner votre carnet.
Il reste quelques kilomètres. Vous arrivez à Banyo alors que le soleil se couche.
Vous profitez d’une nuit sous votre tente, à côté d’un hôtel. Vous y dégustez une spécialité locale, le porc-épic, tout en achetant une SIM carte et en changeant vos derniers nairas.
En finissant votre bière, juste avant de vous coucher, vous retournez sur le site de l’immigration du Cameroun. Votre visa est arrivé à 15h12. Donc sans le savoir, vous êtes entré légalement au Cameroun, visa en poche, malgré cette histoire de frontière fermée.
Le soleil vient de se lever quand vous reprenez la route en direction de Penja. Vous avez hâte d’y retrouver l’ami d’un ami d’un ami qui vous a promis de vous faire visiter les plantations de banane, de cacao et de poivre.
Vous estimez qu’il vous faudra trois étapes pour vous y rendre, vous avez bon espoir que les routes soient meilleures. Pas de chance, les 200 premiers kilomètres sont de la piste en terre, rien à voir avec la piste de la veille, et vous n’en pouvez plus de cette terre rouge, de vos innombrables dérapages et de la concentration extrême qu’exige ce genre de tracé.
Vous êtes sidéré par la vitesse à laquelle Abdel a obtenu qu’un juge vous ordonne de cesser toutes publications sur vos réseaux.
Vous qui souhaitiez juste faire accélérer la machine, vous vous sentez lésé, avec une cuillerée d’injustice et une pointe de corruption active.
Le 4 juillet 2023, vous recevez un courrier très étrange : visiblement, Abdel avait, via son avocat, demandé la suspension de la procédure de poursuite pour ouvrir une procédure sur le fond, arguant que la situation était plus compliquée et que la justice ne pouvait pas trancher sommairement !
En effet, lorsque vous demandez l’exécution d’un contrat ou le paiement d’une facture en Suisse, il y a la voie sommaire des poursuites, puis des faillites, mais il y a aussi la voie plus ordinaire d’une procédure sur le fond qui met donc en attente la procédure sommaire.
Le juge genevois a estimé qu’Abdel avait peut-être raison, que cela était plus compliqué que cela en avait l’air.
Vous ne comprenez vraiment pas ce qui se passe. Un contrat signé avec paiement à la signature, quelle est donc cette chose compliquée qui pourrait remettre en question tout cela ? De plus, il a déposé sa requête le 4 janvier, pourquoi vous en obtenez une copie seulement le 4 juillet ? Que s’est-il passé dans l’intervalle ?
Vous qui avez déjà des tendances paranoïaques, là on est sur une corruption probable de la justice genevoise. Ce n’est pas possible de pouvoir avoir le bras si long alors qu’on truande un entrepreneur valaisan de bonne foi : vous !
Allez, il faut vous calmer.
Vous allez profiter de ce mois de juillet pour enquêter sur ce fameux Abdel, pour tenter de comprendre qui il est exactement. Vous allez engager deux détectives privés qui vont enquêter sur cet homme, vous rapporter ses faits et gestes ainsi qu’éplucher sa réputation sur internet. Ce que vous apprenez dépasse l’entendement. Abdel est criblé de dettes, il est en froid avec pratiquement tous ses partenaires et ses anciens associés. La plupart des employés à responsabilité autour de lui ont démissionné et il se retrouve presque seul à la tête de son groupe. De plus, pour essayer de trouver des fonds, il s’est associé avec des truands londoniens qui ne sont pas des enfants de cœur et qui pourraient bien lui faire payer de sa vie une erreur de jugement.
Vous rencontrez à Genève un homme d’affaire important, concurrent direct d’Abdel qui termine de vous dresser le portrait de cet homme qui s’est embourbé dans son propre merdier par manque de compétences, des lacunes qu’il compensa d’abord par des versements en argent, puis en trahissant ses propres amis.
De votre côté, vous n’avez plus un rond. Vous avez vendu votre deuxième moto, vous avez ressorti votre assurance vie que vous prévoyiez pour vos vieux jours et vous dormez en pleine nature, sous votre tente.
Vous essayez de prévenir le pire : que votre société fasse faillite à cause de cet incapable qui ne vous paie pas. Vous trouvez un avocat genevois d’accord de vous défendre sur cette procédure sur le fond, mais vos moyens étant limités, il se cantonnera à cette affaire, vous laissant gérer les autres procédures tout seul.
Il n’y a décidément pas d’amitié dans les affaires et encore moins lorsque vous avez besoin de la justice. Cela commence par la somme d’argent que vous devez avancer pour pouvoir ouvrir la procédure contre Abdel. Exiger le paiement de 375’000 CHF, c’est avancer presque 30’000 CHF juste pour avoir le droit de vous plaindre. Une somme que vous récupérerez si vous gagnez, dans quoi, dix ans ?
C’est vraiment le serpent qui se mord la queue et d’une injustice inégalée : quelqu’un refuse de vous payer malgré un contrat signé, il met votre entreprise dans le rouge. Vous l’assigner en justice pour récupérer votre bien et éviter la faillite. Le juge demande une somme que vous n’avez pas pour avoir le droit de dénoncer cet homme. C’est mal fait, il n’y a pas d’autres mots.
Dans la détresse la plus totale et parce que vous ne voulez pas tout perdre, vous décidez de renoncer à certaines de vos obligations, comme le paiement de la TVA ou des charges sociales afin de pouvoir avancer cet argent exigé par le juge.
Vous trouverez bien une solution pour rattraper les paiements auxquels vous renoncez dans l’immédiat.
Croisons les doigts pour que la justice aille aussi vite avec vous qu’avec lui !