63. La piste de Gembu - Nigeria

63. La piste de Gembu - Nigeria

Vendredi, Avril 4, 2025 [ROMAN]

Chapitre 63 IOVMEDR

Vous quittez ce parc national en direction des montagnes. Votre trajet débute par une centaine de kilomètres, un col aux virages serrés qui rappellent votre grand huit en Valais, à part que les arbres sont en fait quelques palmiers. La route est défoncée, parfois dans un goudron percé d’énormes trous, parfois en terre recouverte de gravier. C’est magnifique.

Ce n’est pas difficile, mais vous circulez entre 80 km/h et 20 lorsque la route est vraiment détruite. Ces virages qui serpentent en vous menant vers les sommets se verdissent. Il fait frais, c’est très agréable à rouler.

Dans les Alpes, sur les cols, vous montez, puis vous descendez. Ici, sur cette fin de Nigeria, vous montez, puis vous roulez des heures à la même altitude, comme sur un plateau qui représenterait le toit du monde, afin d’enfin amorcer votre descente. Cette manière de suspendre le dénivelé est non seulement étonnant mais surtout d’une magnificence sans égal.

Lorsque vous vous apprêtez à redescendre, vous entrez dans un village qui propose enfin de l’essence. Vous en profitez pour faire le plein, vous discutez avec quelques gens du village qui vous indiquent la piste que vous devrez suivre pour arriver à la douane du Cameroun qui se trouve une centaine de kilomètres plus loin.

Ces locaux sont sympathiques. Vous distinguez dans leurs traits leur appartenance musulmane, avec bien entendu une peau noire ébène. Vous auriez voulu planter votre tente sur ces hauteurs, profiter de ce coin paradisiaque avant de passer la frontière, d’autant plus que vous n’avez aucune nouvelle de votre visa, mais la peur ressentie à Onitsha est trop forte et il vous tarde de quitter le pays. Vous le regretterez sans doute, mais comme souvent depuis le début de votre voyage, vous vous fiez à votre instinct.

Mais la piste qui vous attend, vous n’étiez pas prêt !

Pourtant, en commençant à dévaler ce chemin pédestre fait de terre, de boue et de pente, vous vous souvenez que c’est cette route que faisait Lolo Cochet et plus tard Benoît la Vadrouille, des motards que vous suiviez sur YouTube, lorsqu’au mois de juin dernier vous vous êtes dépêché de vous inscrire à un cours off-road, terrorisé que vous étiez d’imaginer vous retrouver sur de telles routes.

Vous l’aviez décidé, vous êtes là, il va falloir assumer !

Depuis votre départ, vous avez gagné en confiance sur ce genre de piste. Vous avez de bons pneus, plus de technique qu’avant, mais quand même, cette route est impossible. Les pentes sont parfois tellement raides que vous arrêter est impossible, la moto, de par son poids, continue à avancer et à dévaler la pente au ralenti. Une allure qui fait glisser les roues de Lily dans des ornières desquelles il est presque impossible de sortir. Parfois, la route est tellement défoncée que des chemins de traverse ont été créés par d’autres motards et qui surplombent la route sur des crêtes à un ou deux mètres de haut, sur les talus latéraux.

Plusieurs fois, vous vous retrouvez face à un dilemme impossible à résoudre : passerez-vous à droite, sur un chemin qui semble faisable, sur lequel vous estimez vos chances de vous planter à moins de 20 %, mais avec un mètre plus à droite, un précipice de 30 mètres ? Ou prendrez-vous à gauche, sur un chemin ingérable, sur lequel vous estimez vos chances de tomber à 70% mais qui est situé à flanc de coteaux, garantissant que vous ne tomberez pas plus bas que le sol.

Vous louvoyez entre ces deux propositions, vous fiant à votre instinct, concentré et vaillant.

Bon, vous tomberez quatre fois.

Presque à chaque fois à l’arrêt ! Vous vous ferez mal à l’épaule une fois. Vous casserez un cale-pied. Votre sacoche remplie de vivres à l’avant gauche explosera lors d’un choc, répartissant huile d’olive, farine et lait sur cette piste compliquée. Il vous faudra plus de 6 heures pour parcourir ces 100 km.

Allez, la douane est devant vous. Vous n’avez pas de réseau, donc pas de visa. Pour finir, la sortie du Nigeria est bon enfant et agréable, une des douanes la plus rapide de votre périple. Vous parcourez environ 5 kilomètres de zone franche pour vous retrouver devant le poste de douane du Cameroun.

Croisons les doigts, mais une chose est sûre, vous ne retournerez pas en arrière sur cette piste maudite.

Lorsque vous rentrerez de Rome, une semaine a passé. Les posts Linkedin sont affichés comme planifiés. Vous espérez qu’au courrier vous attend quelques bonnes nouvelles.

C’est votre jeune apprentie de 16 ans qui réceptionnait la poste durant votre absence. Du courrier, elle en a reçu, beaucoup !

Vous retournez au bureau le lundi, vous n’êtes pas prêt pour ce qui vous attend ! Cela fait maintenant deux ans que vous vous battez pour faire honorer via la justice un contrat signé qui vous promet un versement de 375’000 CHF à la signature, avec l’appui de la justice genevoise, sans succès pour l’instant.

Abdel a réussi, en quatre heures, à obtenir une injonction du juge pour faire cesser vos publications. Ce courrier est arrivé en express le lundi de votre absence déjà, avec appel téléphonique, courrier recommandé, copie via l’avocat d’Abdel, copie recommandé du tribunal, puis copie en recommandé cette fois du bureau des avocats d’Abdel. Votre apprentie est terrorisée. Dans ses yeux, vous vous voyez déjà en prison.

Cette salve est arrivée à Sion entre lundi et mardi.

Mais les posts, bien entendu, ont continué leur rythme de publication. Chaque jour, à 13 heures, comme planifié.

Alors Abdel a obtenu une nouvelle audience avec un juge qui vous ordonne de cesser immédiatement vos publications avec des peines d’amende, voire de la prison si vous ne vous y conformez pas. Cette seconde salve de la même teneur, plus de 6 courriers par voies différenciées, vont arriver le jeudi.

Mais vos posts se poursuivent.

Vous recevez des menaces de la part des avocats, encore le vendredi et même le samedi. Le lundi de votre retour au bureau, vous lisez tout cela en même temps. Le jugement sommaire, qu’ils appellent des mesures superprovisionnelles et provisionnelles vous donnent le tournis. Mais comment est-ce possible ? Pourquoi a-t-il le droit à une telle rapidité d'exécution, lui? Heureusement que vous n’avez pas été lui casser la gueule à cet Abdel, car à voir ce que génère des posts Linkedin, vous n’osez imaginer ce qui vous attendait si vous aviez décidé de régler ce différend à l’ancienne !

Vous êtes convoqué à une audience au tribunal de Genève fin août. Vous êtes sommé d’arrêter de publier et de faire disparaître les publications déjà parues.

Pourtant, vous n’avez rien fait de mal ? Vous avez juste exposé la vérité, une vérité que vous avez documentée et prouvée par des documents annexés. Dans votre éducation, on a toujours le droit de dire la vérité, même si elle fait mal. Vous n’êtes pas responsable des actes d’Abdel et ce qui est immoral dans cette histoire, c’est ce qu’il vous a fait ! Pas de le dire en public !

Avant midi, vous avez effacé toutes les publications, non sans avoir au préalable conservé une copie de chaque article pour vos dossiers.

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