
Chapitre 62 IOVMEDR
C’était seulement une coupure de courant.
Au passage, ce black-out a grillé tous vos appareils électroniques : votre prise universelle, votre rallonge, la prise multiple et ses différentes possibilités d’y coupler des prises ou des câbles USB, plus rien ne fonctionne. Vous ressentez une odeur de plastique brûlé..
Personne n’a débarqué en hélicoptère sur le toit pour vous kidnapper. La terreur était dans votre tête, alimentée par l’attitude de l’hôtelier.
Difficile pour vous de faire la part des choses entre votre peur, votre capacité à imaginer le pire et la véritable dangerosité du lieu.
À peine le soleil levé, vous fuyez.
Vous roulerez énormément en ce jour, vous quitterez définitivement la zone rouge pour vous retrouver dans l’est du pays, dans les montagnes, quelques cinq cents kilomètres plus loin.
Vous vous trouvez un peu ridicule. Mais vous avez eu peur, vraiment peur !
Finalement, à croire que le Nigeria n’était pas dangereux et que vous pouviez le faire seul, vos angoisses vous ont rattrapé. Vous êtes bien conscient que vous êtes en partie responsable de cette montée en puissance, que si vous aviez été avec quelqu’un, vous auriez pu gérer raisonnablement cette peur, mais le fait est que vous avez eu peur, que celle-ci soit justifiée ou non n’a pas vraiment d’importance.
Le parc dans lequel vous êtes arrivé est magnifique. Il y a des crocodiles un peu plus loin et quelques singes dans les arbres. Vous dormez dans une hutte à côté des gardes du parc. Les bruits de la forêt vous détendent. Une femme de la région vous prépare à manger: de la biche et du riz. Vous vous sentez bien ici.
C’est absurde, mais vous devriez passer quelques jours dans ce lieu, mais vous avez eu trop peur, votre instinct vous pousse à quitter ce pays rapidement. En même temps, vous n’avez toujours pas reçu votre visa pour le Cameroun, votre prochain pays.
Demain, vous vous attaquerez à une piste très difficile, la fameuse piste de Lolo Cochet qui vous avait amené en juin dernier à aller faire un cours off-road pour vous y préparer.
On y est !
C’est demain.
Vous espérez seulement que le visa sera arrivé par mail. Quoi qu’il arrive vous ferez cette route. Au pire, vous dormirez à côté du poste de douane. Vous êtes au huitième jour et le site de l’immigration camerounaise vous promettait le précieux sésame dans les dix jours. Vous croisez les doigts pour qu’il n’y ait pas de mauvaises surprises de ce côté-là.
Faire le chemin inverse ne vous botte pas vraiment.
Vous souriez d'inquiétude à cette idée... Le lendemain de votre post sur Linkedin, une surprise vous attend dans votre boîte mail. Un avocat, se prétendant représenter les intérêts d’Abdel, vous somme de retirer immédiatement vos écrits en vous menaçant de déposer plainte.
C’est amusant, mais vous avez acquis une certaine expérience de ces méthodes et dans ce cas précis, ce monsieur ne fait que dire du vent : il n’y a pas de procuration, les menaces sont exagérées, bref, ça sent l’arnaque à plein nez. Vous décidez de ne pas vous laisser faire. Un plan machiavélique dicté par un ras-de-bol infini germe en vous.
Toute la semaine prochaine, vous serez à Rome dans un bunker de l’OTAN pour y présenter votre dernier jeu publié aux militaires de l’organisation. Dans ce bunker, vous n’aurez pas de contact avec l’extérieur, les téléphones portables étant interdits.
Vous passez votre journée à planifier des publications qui apparaîtront chaque jour sur Linkedin, à 13 heures. En ce jour, samedi, vous publiez le mail de l’avocat en mettant en évidence que cet avocat doit être un amateur puisqu’il n’a même pas jugé utile d’annexer une procuration qui prouve sa représentation. Le dimanche, vous y raconterez un bout de l’histoire, le lundi un autre et ainsi de suite jusqu’au samedi suivant. Vous vous fixez deux règles essentielles pour la rédaction de ces posts : vous ne direz que la vérité et rien que la vérité et ces vérités seront documentées en y annexant des preuves de ce que vous avancerez, à savoir, le contrat signé, la somme attendue, la réquisition de faillite, les victoires judiciaires déjà acquises, etc. Si la justice prend son temps, peut-être que vous parviendrez à sensibiliser les actionnaires de ces sociétés d’agir au plus vite et au pire, vous n’êtes pas responsable des actes d’Abdel. Vous n’êtes responsables que de le dénoncer. À lui d’assumer ses actes, la mauvaise gestion de son entreprise et les promesses signées par contrat.
Cette semaine à Rome risque d’être passionnante.
Le dimanche en fin de journée, tous les posts sont prêts. Ils allient vérité, humour, provocation et pertinence. Vous êtes content de votre travail. Vous croisez les doigts pour que ce ne soit pas qu’une opération de communication, mais que cela fasse effet et que vous soyez enfin payé.
Vous en avez ras-le-bol d’attendre. C’est le troisième procès qui vous paralyse et à chaque fois, rester passif et faire confiance à la justice ne vous a pas été utile. Vous souhaitez aider cette justice en accélérant le processus dans le but de peut-être trouver rapidement un arrangement.
Vous prenez votre moto direction Rome.
Vous avalerez les huit heures de route d’une traite.
Vous dégusterez un chianti sur une terrasse de la Piazza Navona avec une seule certitude : les dés sont jetés.
Pour un éditeur de jeu, vous êtes persuadés que c’est une phrase qui vous va bien.
À Rome en plus, assis sur cette terrasse !
Vous levez votre verre à Jules César :
- Santé !
Puis :
- Aléa jacta est !