
Chapitre 61 IOVMEDR
Comment avez-vous pu oublier ce détail ?
Non, mais sans blague !
Vous deviez passer 100 kilomètres en zone rouge plus que rouge, d’accord, mais il fallait traverser, pas vous y arrêter pour la nuit, quelle idée !
C’est vrai qu’il y a tellement de paramètres : avoir du wifi, que la route soit belle (pas une piste, pas ici), que vous trouviez facilement de l’essence, que l’hôtel soit protégé, votre moto dans un parking sécurisé, avec si possible un restaurant. Vous avez jeté votre dévolu sur ce petit hôtel d’Onitsha. Vous n’avez pas regardé où se trouvait cette ville exactement par rapport aux zones conseillées ou non du Nigeria.
D’habitude, réflexe d’ancien militaire, vous tournez à gauche après être passé devant l’hôtel, vous attendez une trentaine de minutes pour vous assurer de ne pas être suivi, puis vous revenez jusqu’à l’hôtel. On appelle ça la contre-filature. Mais ce jour-là, l’hôtel n’est pas très évident à trouver et vous passez plusieurs fois devant avant de le reconnaître. Pour éviter d’être suivi, ce n’est vraiment pas la chose à faire.
Un jeune homme vous reçoit, il vous dit qu’il ne faut pas entrer par la porte principale. Il vous indique comment rouler, puis revenir par l’arrière-cour de l’hôtel.
Vous exécutez ses ordres, mais une fois arrivé, il vous fait parquer la moto, puis ressortir par où vous êtes entré mais sans la moto. Une voiture 4x4 vous attend, un homme en sort, il vous fait entrer en vous obligeant à baisser votre tête d’un coup de poignet. Vous avez la sensation d’être kidnappé mais les mots du jeune homme qui ne vous a plus quitté sont rassurants. Vous n’avez pas peur. Vous trouvez juste qu’ils en font trop.
Il vous fait revenir devant l’hôtel, mais cette fois la voiture pénètre dans un garage sous l’édifice avant de vous permettre d’en sortir. Le jeune homme vous amène dans votre chambre, une chambre spacieuse au premier étage. Il y a un wifi, un grand lit et un balcon grillagé, comme dans une prison. Le grillage a l’apparence d’un store baissé en acier. Depuis l’extérieur, personne ne peut vous voir.
Vous demandez une bière et de l’eau. L’homme se charge d'aller chercher tout cela. Vous prenez une douche. L’atmosphère est lourde. Devant votre porte, il y a un garde, posté. C’est difficile de savoir s'il vous garde ou s'il vous protège. Êtes-vous le prisonnier ou le VIP ?
La nuit est en train de tomber.
L’homme revient vous voir. Il vous demande si vous souhaitez manger quelque chose. Vous commandez de la nourriture locale mais cela a l’air super compliqué. Vous lui dites soudain :
- Non, mais attends, je vais aller en ville, je trouverai bien quelque chose à manger dans la rue.
Le monsieur vous regarde, les yeux grands ouverts !
- Non mais ce n’est pas possible monsieur, vous ne pouvez pas aller seul dans la rue.
- Et pourquoi pas ?
- Moi même je suis noir, je n’ose pas m’y aventurer la nuit tombée, alors vous, un blanc, je donne pas cher de votre peau. Vous êtes en pleine zone dangereuse, la plus délicate ici au Nigeria, encore la semaine passée, il y a eu un massacre de blancs dans un bar à cinq kilomètres d’ici, avec 7 morts. Je crois qu’il est mieux qu’on vous apporte à manger.
Vous acceptez. Vous ne comprenez pas si le gars est simplement fou ou s’il est plein de bon sens. Vous payez pour un morceau de poulet et vous attendez patiemment dans la chambre.
Vous en profitez pour vous renseigner sur la situation de cette ville. Vous constatez que vous vous êtes en effet trompé. Vous êtes là où tout le monde dit qu’il ne faut surtout pas s’arrêter !
Quel idiot !
Vous mangez. Vers 22 heures, vous vous dirigez sur le balcon. Vous êtes le témoin d’une scène cocasse. Un jeune homme regarde à droite et à gauche, vous sentez qu’il est stressé. Il se trouve entre deux pompes à essence de la station qui est voisine de votre hôtel. La seule lumière qui l’éclaire, c’est la clarté de la lune. Il dépose devant lui un sac à main aux allures féminines. Il sort de l’argent qu’il met dans sa poche. Il a une mine patibulaire.
Certainement un sac à main volé !
Vous continuez à l’observer. Le monsieur remet le sac derrière un pupitre en carton qui se trouve juste à côté de la pompe à essence. Il va chercher un bout de carton dans les détritus qui jonchent le sol, un peu plus loin. Il le dépose sur la zone réservée aux voitures.
Il se couche dessus, bien décidé à dormir.
Et voilà que l’histoire complète de ce monsieur vous apparaît sans aucun doute possible. Ce n’est pas un voleur à la tire, c’est juste le responsable de cette station service. Il a un sac à main trouvé qu’il utilise comme bourse dans laquelle il encaisse l’argent des clients. Il le met sur lui pendant qu’il dort, remettant le sac vide derrière son étal de fortune. Il n’a pas l’air patibulaire. Il dort sur ce qui lui appartient, un morceau de carton au centre de son espace de travail.
Vous n’êtes pas témoin des activités d’un truand, mais seulement de la pauvreté d’un travailleur nigérian.
C’est fou, comme la perception de votre ressenti évolue par rapport à l’environnement dans lequel vous vous mouvez !
Vous vous remettez au lit. Vous placez toutes vos prises et vos câbles pour profiter de la nuit pour recharger vos appareils. Vous réfléchissez à votre passé. Vous comprenez comment les gens d’ici procèdent lorsqu’ils souhaitent kidnapper des blancs ou les massacrer. En principe, tout commence par une coupure de courant, puis ils entrent en force pour vous surprendre, en principe lorsque la nuit est profonde.
Vous êtes inquiet. Rien ne sert d’être paranoïaque. Demain à la première heure, vous mettrez une fois encore le plus de kilomètres possible entre vous et cet endroit.
Juste passer la nuit.
Tranquille !
Dans ces moments-là, votre passé et votre formation de militaire n’est d’aucune utilité, si ce n’est celle d’augmenter votre panique puisque vous connaissez leur manière de procéder. Vous savez aussi que si un groupe de méchants a décidé de vous prendre, vous n’aurez aucune chance de vous en sortir.
Allez ! Il faut vous calmer.
Vous n’êtes pas dans un film.
Lorsque soudain, l’électricité du bâtiment est coupée !
Dans votre tête un seul mot : merde !

