
Chpitre 59 IOVMEDR
Vous auriez encore tellement d’anecdotes à raconter sur cette manière étrange de voir le monde, sur ces valeurs du vaudou.
Vous vous les rappelez toutes, comme une ponctuation singulière dans un texte en français, vous en comprenez le langage, mais la syntaxe est différente.
Vous vous arrêtez dans un restaurant au bord de la route. Vous prenez un éternel riz et poulet. Les gens sont très sympathiques. Ils vous tiennent compagnie durant votre repas.
Vous reprenez la route de Cotonou, la capitale du Bénin, vous avez prévu d’y rester quelques jours, en particulier car vous devez aller chercher les 3 derniers visas de votre voyage, celui du Congo Brazzaville, celui du Nigeria et celui du Cameroun.
Les visas sont réellement un business en Afrique de l’Ouest. Pour ces trois visas-là, il vous faut environ 600 EUR. Le visa du Nigeria est le plus compliqué à obtenir selon vous. Déjà parce que c’est le seul pays en zone orange de votre voyage. Sur les cartes qui établissent la sécurité pour un touriste dans les pays, il y a la couleur verte qui comprend la plupart des pays européens : aucun souci particulier à se faire. Puis il y a les pays en jaune, ceux où il faut être attentif, car de la petite criminalité est possible. En principe, dans ces pays, il faut éviter de rouler la nuit, il vaut mieux trouver un spot pour dormir avant 17 heures et ne plus bouger. C’était le cas de la plupart des pays que vous avez traversés jusqu’à maintenant et des suivants, mais le Nigeria, mon Dieu. Zone orange ! La plupart des ministères des affaires étrangères européens vous déconseillent d’y aller. Ils s’ôtent toutes responsabilités en cas de problème. Dans ces pays, aucune assurance ne viendra vous couvrir ni vous aider. On parle de danger d’enlèvements, d’une forte corruption et de potentiels actes criminels. Le Nigeria est une zone délicate pour les overlander, car c’est un passage obligé, il n’y a pas de possibilités de le contourner et obtenir son visa est déjà un défi en soi : il faut être résident du Bénin, montrer patte blanche, être invité par une personne locale et montrer son itinéraire avec les réservations d’hôtels correspondants. Le Nigeria vous inquiète un peu. Pourtant, vous devez être plus d’une cinquantaine à faire la route et il y peu de problèmes. Vous vous dites qu’il y en a peu, parce que dans les faits, vous n’avez pas eu vent de problèmes particuliers ces derniers temps, si ce n’est cette couleur sur la carte.
Vous avez, depuis Dakar, pris contact avec un club de moto au Bénin. Vous estimez à sa juste valeur cet esprit motard qui unit tous les pilotes du monde. Marius, votre contact, vous reçoit comme un prince. Il vous présente son club, il vous invite pour un repas, il vous parle de son pays et des pays voisins. Vous passerez trois jours au sein de la communauté. Au début, on parle de vous escorter sur les routes du Nigeria, jusqu’au Cameroun, planifiant de vous faire passer de motards à d’autres sur le long du chemin. Vous comprenez qu’il y a trois possibilités d’arriver au Cameroun par le Nigeria : un ferry, au sud; un pont sous escorte militaire, tous les jeudis, un peu plus haut; ou une piste très difficile qui se trouve toute à l’est du pays, vous obligeant à traverser tout le pays horizontalement. Vous estimez qu’il est possible de le faire en quatre étapes.
Vous profitez de la communauté pour vous préparer, vous restaurer, vous couper les cheveux et prendre un peu de bon temps. Votre hôtel est agréable et le wifi correct.
Marius prend soin de votre monture. Il valide votre itinéraire. Il vous met en contact avec des motards de la région via un groupe WhatsApp.
Du côté des visas, le Nigeria s’obtient finalement facilement. En fait, le monsieur qui vous a reçu n’était intéressé que par une seule chose: votre argent. Il vous a donc expliqué qu’il n’avait pas de temps à perdre avec l’administration et que toutes les règles, -résidence, réservation d’hôtel, etc-, pouvaient être contournées moyennant paiement.
Au début, vous avez tenté de négocier, mais vous avez vite compris que cela ne servait à rien. Vous avez payé ! Un quart d’heure plus tard, vous ressortiez avec dans votre passeport, ce visa dont tout le monde vantait la difficulté.
Pour le visa du Cameroun, cela se fait de manière très simple en ligne. Vous avez en votre possession tous les documents exigés sauf le visa du Congo qui doit être annexé à la demande, comme pour prouver que vous sortirez bien du pays une fois. Vous mettez donc en attente ce visa tandis que vous vous rendez à l’ambassade du Congo.
L’homme qui vous reçoit est fort sympathique et moyennant encore un peu d’argent, il vous remet le visa dans la foulée. Vous rentrez à l’hôtel pour l’annexer à la demande de visa en ligne pour le Cameroun. Vous rentrerez au Nigeria dans quatre jours, vous aurez besoin de quatre jours supplémentaires pour traverser le pays, vous serez donc à la frontière du Cameroun dans huit jours.
Sur le site, ils vous promettent une réponse dans les dix jours, mais l’expérience d’autres overlander vous rassure, ils l’ont obtenu en quatre heures, voire en quatre jours. Ça devrait le faire !
Attendre les délais, supplier pour que cela passe dans les temps, espérer un rythme et s’y conformer, c’est ce que vous avez fait en ce mois de mai 2023. La fin du délai pour qu’Abdel fasse recours est fixé au 28 mai, mais vous attendrez le 10 juin pour vous réjouir. Vous téléphonez à Genève pour vous assurer qu’aucun recours n’a été déposé et que le jugement va bien rentrer en force.
Votre joie est indicible.
L’administration genevoise vous confirme le tout !
C’est la fin de votre calvaire, l’argent va arriver, vous pourrez rembourser vos partenaires et repartir du bon pied. C’est toujours terrifiant de passer par la justice, cela prend un temps fou et passablement d’argent, mais quelle joie de savoir que tout a été fait dans les règles et que vous vous en êtes sorti vainqueur.
Avec votre équipe, vous n’en pouvez plus. Vous décidez de fêter l’évènement ensemble. Rien d’extravagant, car l’argent n’est toujours pas arrivé, mais continuer à fêter les petits succès, c'est important pour le moral.
Vous écrivez à Abdel par mail que vous attendez l’argent rapidement sur le compte dont vous lui transmettez les coordonnées.
Il ne vous répondra jamais à ce mail.
Et l’argent ne vient pas.
Le 23 juin, vous décidez de poursuivre donc la voie juridique comme l’état de Genève vous l’a expliqué en exigeant la faillite de la société d’Abdel. Vous remplissez le document.
Vous êtes malheureux d’arriver à des extrémités pareilles. En tant que chef d’entreprise, vous essayez d’imaginer votre ressenti s’il vous arrivait semblable infortune. Avant d’envoyer le document à l'État de Genève, vous écrivez un nouveau mail à Abdel pour lui montrer ce que vous vous apprêtez à faire.
“Nous pourrions trouver une solution, merci de me répondre avec une proposition d’ici vendredi midi, sinon je me verrai contraint d’envoyer ce document à l’Etat de Genève”.
Il n’y répondra pas.