58. Vaudou

58. Vaudou

Dimanche, Mars 23, 2025 [ROMAN]

Chapitre 58 IOVMEDR

Vous regrettez que l’Afrique de l’Ouest n’ait pas cette culture du vin rouge. Vous auriez bien accompagné ce cigare d’une Syrah.

Vous avez passé 4 jours et 4 nuits en pays vaudou. Les images de ces anecdotes hantent votre imagination. À chaque fois, les gens autour de vous se sont d’abord définis comme appartenant à une des deux religions monothéistes de la région, que ce soit en se disant musulman ou chrétien.

Au fil de la discussion, vous avez senti cette religiosité s’effacer pour laisser place à plus de cœur et surtout de tripes !

Ce bébé, né avec les yeux fermés. Les parents ont été au dispensaire voir des médecins qui ne comprenaient pas cette étrange maladie. Les “blancs” l’ont condamné. Ce bébé est né aveugle. Puis une dame, l’équivalent de notre image de la sorcière, a pensé que c’était peut-être un signe d’un ancêtre. Il voulait qu’on sache que ce bébé, c’était sa réincarnation. C’était visiblement très important pour lui qu’on le reconnaisse comme tel. Les gens du village se sont réunis pour établir une liste des aïeux qui auraient eu un problème de vue, avec leur yeux, avec leur vision… enfin n’importe quoi en lien avec l’œil. Aussi loin qu’ils remontèrent dans le temps, ils fixèrent huit noms qu’ils associèrent à des éléments : lui symbolisé par un grain de riz, elle par du manioc, elle par une banane et ainsi de suite. En effet, peu de personnes savent lire ou écrire, il est donc important d’associer chaque nom avec un élément qu’on va placer devant un bol rempli d’eau, dans une case dédiée à cela. Il y a donc dans cette case, à la tombée de la nuit, huit bols remplis d’eau, avec devant chaque récipient, un élément de nourriture qui en définit l’appartenance ancestrale.

La sorcière danse pour expliquer le processus aux parents, à l’enfant et au village. De jeunes hommes armés de machette font la garde devant la case afin d’éviter que quelqu’un vienne troubler l’expérience.

Au matin, tout le village est réuni pour entrer dans la case. Sur les 8 bols d’eau, 7 sont encore pleins. Le bol vide donne au village un nom que le peuple scande en dansant jusqu’au soir.

Le lendemain matin, ce bébé, né les yeux fermés, les ouvre enfin !

Et cette petite phrase qui conclut toutes les anecdotes :

- Tu vois, le poète, cette histoire est vraie, puisqu’elle est arrivée. On ne te ment pas !

Dans un des villages où vous êtes passé, il manque la tombe d’un éminent membre de la communauté. Cet homme, qui fut le grand-père de celui qui vous raconta son histoire, était chef du village à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Le Togo était sous présence française, mais aussi allemande. Les villageois locaux tentaient de survivre de manière indépendante mais ils devaient parfois s’associer à l’un où l’autre camp afin de maximiser leurs chances de survivre. Les tragédies survenaient lorsque deux villages voisins répartissaient leurs appuis et se retrouvaient dans une confrontation sanglante au sein d’une guerre qui n’était pas la leur. Le village avait perdu ce combat. Alors que toute la communauté avait fui ou était morte, ce chef du village, vaillant combattant, s’empara des derniers survivants et se cacha dans une case en espérant qu’on ne l’y trouverait pas. L’attente fut de courte durée. Il essayait de ne pas respirer trop fort. Il avait pu sauver une femme, une petite fille et un jeune garçon. Tous les quatre comprirent rapidement que les Allemands les encerclaient. Ils mirent feu aux cases pour amplifier la terreur. Tandis que le village brûlait, ils lâchèrent quelques salves pour s’assurer que personne ne survivrait. À l’aube, on réunit les corps des défunts. Lorsqu’on débarrassa la case dans laquelle le chef du village s’était réuni avec ses complices, on découvrit le corps de la petite fille, celui de la femme et celui du jeune garçon, mais aucune trace du grand-père.

- On ne construit pas une tombe à quelqu’un qui n’est pas mort, cela porte malheur !

Un peu plus tard. il ajoutera :

- Je pense que grand-père, à l’aide de ses ancêtres, a réussi à faire apparaître un vortex dans lequel il s’est caché. Hélas, il n’a pas réussi à en ressortir et il est bloqué dans ce monde parallèle jusqu’à sa mort.

Vous êtes perplexe. Si cartésien et pourtant impressionné par l’aplomb avec lequel les gens vous racontent ces histoires.

Vous osez un :

- Mais il doit être très âgé aujourd’hui, non ?

- Nous pensons qu’il est mort mais nous n’en avons pas la certitude.

Il voit bien que vous établissez un silence pour l’inviter à poursuivre :

- Parfois, j’entre dans des colères noires. Des colères si puissantes que je fais peur à mes interlocuteurs. Il n’y a pas très longtemps, par exemple, je me suis fait arrêter par des militaires pour une raison plutôt injuste. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais un moment, j’ai vrillé. Mes yeux sont devenus rouges, mon corps s’est gonflé. Le capitaine de la troupe militaire a tellement eu peur qu’il s’est mis à genou devant moi et m’a demandé pardon. Tous pensent que la force et le courage de grand-père sont aujourd’hui en moi. Il est possible que je sois lui !

Le passage de la douane s’est fait sans problème, ce fut même très agréable. Vous êtes arrivés à Cotonou dans l’après-midi et vous vous êtes remémoré chaque anecdote en roulant. Quelle richesse incroyable d’imaginer que vos ancêtres vous accompagnent pour vous faire devenir meilleur, de croire qu’ils vous entourent, vous incitant dans vos choix, à chaque génération, à devenir plus sage et plus puissant ! Vous ne saviez pas que le vaudou était si axé sur la famille. D'ailleurs, l’un de vos interlocuteurs était végétarien. Vous pensiez que c’était par amour pour les animaux, mais non, parce qu’il avait trop peur de manger la réincarnation de quelqu’un qu’il connaissait, ou qu’il connaîtrait. Tout simplement ! Comme Abdel a signé le contrat avec une société, établi des mandats avec d’autres sociétés, fait partir une facture sur une autre société encore et convoqué par mail avec en signature d’autres sociétés. Il est compliqué de le mettre en poursuite pour ce non-paiement. Mais à la fin, vous décidez d’aller au plus simple : vous mettez en poursuite la société qui est inscrite sur le contrat et qui porte la signature d’Abdel.

Nous sommes en juin 2022.

Il fera opposition.

Vous lèverez l’opposition !

Il demandera un effet suspensif !

Il n’obtiendra pas gain de cause.

Il fera recours.

Il perdra son recours !

Le 28 avril 2023, vous obtenez la certitude que vous avez gagné ! Abdel devra vous payer.

Mais il a la possibilité de faire recours à cette décision durant 30 jours. Les 30 jours les plus longs de votre vie.

Damaris
Ecrit
Lundi, Mars 24, 2025
Merci pour ce partage d’expériences ! C’est passionnant.
Pyf
Ecrit
Lundi, Mars 24, 2025
Ce fut une expérience très marquante de mon voyage.
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