57. L’éco-ferme de Soura

57. L’éco-ferme de Soura

Vendredi, Mars 21, 2025 [ROMAN]

Chapitre 57 IOVMEDR

Vous reprenez la route vers le nord.

Votre idée, c’est de remonter jusqu’à Kara, mais en plusieurs étapes. La première consiste à retourner dans les montagnes pour atteindre Goldeneye, un point de vue exceptionnel sur les reliefs togolais.

Une fois encore, ce pays est une excellente surprise. Les habitants sont très sympathiques, leur nourriture, le foufou, -une manière particulière de préparer le manioc-, est très bonne et comme partout en Afrique, les portions sont gigantesques. Après une nuit dans votre tente, sur les toits du monde, vous continuez vers le nord. Vous avez repéré sur votre application l’existence d’une éco-ferme, un couple de locaux qui vivent en autarcie complète grâce à leur maîtrise de la faune et de la flore.

Vous y êtes accueilli par Soura, un homme jeune qui vit là avec son épouse. Son domaine est magnifique. Il y cultive de tout : de l’igname, des carottes, des concombres, du manioc et des fruits exotiques. Beaucoup plus que cela en réalité.

Il y élève aussi des chèvres, des poules et il possède un étang rempli de poissons.

Soura prend le temps de vous emmener avec lui. Il vous explique comment l’eau des pluies est recueillie, puis stockée dans l’étang rempli de poissons; cette eau est pompée (à la main) pour fournir l’arrosage nécessaire aux cultures en cas de sécheresse. Ceci est un exemple, mais il passera l’après-midi à vous apprendre ses trucs et astuces : pourquoi cette fougère à cet endroit, afin de couper le vent, ou de faciliter le travail des abeilles qui va permettre de meilleures floraisons grâce à une efficace distribution du pollen.

Vous êtes impressionné par tout ce savoir-faire. Il faut dire que Soura est passé en Suisse, il y a longtemps, pour apprendre les techniques européennes et il a ensuite travaillé des années pour des ONG suisses implantées au Togo. Cette rencontre est magique, car pour une fois, vous pouvez réellement échanger sur vos expériences. Vous connaissez tous les deux le pays de l’autre, étant tous deux des témoins d’un instant choisi dans le pays de l’autre.

Vous y passez trois jours reposants.

Lorsque vous quittez cet endroit, vous abandonnez quelques larmes nostalgiques ! Ce couple est merveilleux.

En remontant vers Kara, vous vous arrêtez dans un petit village fort sympathique. La nuit est en train de tomber. Kara, c’est la limite nord à ne pas franchir, la présence policière et militaire s’est d’ailleurs fortement densifiée.

Vous demandez asile auprès du chef du village qui vous invite à dormir chez lui. Pour être précis, vous posez votre tente derrière sa hutte.

Au milieu des vapeurs du vaudou, vous allez passer une soirée que vous n’oublierez jamais.

Pas si loin de vous, sur une table, au centre du village, il y a le corps d’un homme mort, recouvert d’un drap. C’est un voleur. Le village l’a condamné. Il restera sur cette table jusqu’à ce que les jeunes du village aient bien retenu la leçon que “voler, c’est mal” !

C’est une étrange sensation que d’être proche de ce corps.

Le chef du village distingue votre malaise :

- Ça vous ferait du bien, chez vous, en Europe, ce genre de procédure ! Il y aurait moins de délinquance.

Vous riez, d’un rire jaune !

Le lendemain, vous redescendrez vers le sud en passant par la douane qui sépare le Bénin du Togo, avec pour but de vous rendre à Cotonou.

Cet instant en pays vaudou vous marquera à jamais. Les personnes impliquées dans les discussions que vous avez eues, que ce soit à Goldeneye, près de Kara, dans ce village cette nuit ou au nord de Cotonou, vous ne les oublierez jamais.

Vous y avez appris, par exemple, que c’est les chrétiens qui ont menés depuis des siècles une profonde opération de communication pour faire passer le vaudou pour de la magie, souvent noire, emplie de malédictions et de vengeances. Il n’en est rien !

Le vaudou utilise en effet des poupées, représentant souvent des défunts, pour tenter de matérialiser leurs ancêtres avec qui ils tentent d’entrer en relation.

- On est très loin de piquer un poupée à l’effigie d’un salaud qui se tord de douleur de l’autre côté de la planète !

Vous avez aussi bien compris que c’est une “religion” qui se transmet oralement depuis d’innombrables générations. Il n’existe pas de livre et il est important que cela demeure. Ainsi est-il difficile de se comprendre avec les religions monothéistes qui basent toutes leurs paroles sur un “livre”.

Vous n’avez pas envie de trahir ces paroles. Votre témoignage pour cette fois restera flou. Vous vous promettez d’allumer un cigare pour le prochain chapitre, vous décrirez les histoires que vous avez retenues tout en conservant le mystère de votre interlocuteur et / ou de son appartenance.

Sur cette piste qui longe le lac artificiel de Uria, vous roulez à 30 km/h non seulement parce que l’état de la route est difficile, mais aussi parce que chaque souvenir éveille en vous une certaine admiration.

Il est compliqué de se comprendre, lorsque nos valeurs de base sont si différentes.

Après cette visioconférence avec Abdel qui vous a rassuré, vous passez un bon week-end.

Lundi, l’argent n’est pas sur votre compte.

Mardi non-plus !

Mercredi encore moins.

Il y a un nouveau directeur qui remplace la directrice du début de vos relations avec les sociétés d’Abdel. Vous décidez de l’appeler.

- Oui, je crois qu’il a payé hier, ça devrait arriver aujourd’hui.

Vous le rappelez le lendemain. - C’est bizarre, laisse-moi vérifier avec lui, je te rappelle d’ici demain. Le vendredi, il craque : - Je ne sais pas quoi te dire, moi, je dois faire semblant de découvrir le problème, mais je crois qu’il ne te paiera jamais !

Vous mettez alors Abdel en poursuite.

Vous annulez les contrats avec vos partenaires.

Vous prenez contact avec votre avocat.

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