
Chapitre 56 IOVMEDR
Vous êtes à la fois heureux de reprendre la route, mais nostalgique des pâtes et des pizzas. Vous laissez derrière vous cette parenthèse italienne pour retraverser Accra et remonter vers le nord, vous visez un petit hôtel, proche de la Volga, mais sur son autre rive cette fois.
Vous traversez un parc national, la forêt est magnifique, vous y croisez plusieurs singes qui rôdent le long de la route, des babouins, qui prennent leur repas en famille en vous regardant passer.
C’est incroyable de pouvoir approcher ainsi les animaux dans leur milieu naturel avec autant d’aisance. Vous vous arrêtez quelques fois à une trentaine de mètres, pour assurer de belles photos. Quand votre regard croise le leur, il y a tellement d’humanité dans ce regard que c’en est gênant. Vous êtes vraiment en face de cousins.
Vous avez une pensée pour Pierre Boule et sa fameuse planète des singes que vous avez lu, adolescent.
Vous arrivez à ce lodge qui vous intéresse. Il est tenu par un couple d’Allemands venus s’installer là il y a presque 30 ans. Le plat proposé pour le repas, c’est d’ailleurs une saucisse allemande avec une sauce brune aux oignons. Après l’Italie au bord de l’océan, le contraste est amusant.
Un autre Suisse est présent, il fait le même parcours que vous, il écrit aussi, il est aussi en moto. Vous échangerez toute la soirée sur différentes valeurs que vous partagez, sur les différences aussi de ce que vous êtes ou de ce que vous souhaitez faire. Christophe est extraordinaire, à la fois poète et anarchiste, pourtant incroyable ambassadeur de son canton du Jura. Vous passez une excellente soirée à ses côtés.
Leader d’un groupe de musique punk il y a plusieurs années de cela, il cassait des guitares sur scène en chantant le pays. En même temps, lorsqu’on le découvre, on rencontre un homme plutôt organisé et droit. Vous allez débattre de l’ordre, de l’anarchie, de la démocratie et d’éthique toute la soirée, plusieurs bières à la main.
Vous le recroiserez souvent.
Après une nuit fraîche dans les montagnes du Ghana, vous passez la frontière très rapidement pour vous retrouver dans les hauteurs du Togo. La route est magnifique, elle monte jusque vers les 900 mètres d’altitude. On se croirait dans les pré-Alpes.
Vous prenez le temps de redescendre, puis de remonter un autre col pour aller voir un château médiéval allemand qui est assez anachronique dans ce décor africain. Puis votre route vous amène jusqu’à Lomé, la capitale, car vous devez faire valider votre visa dans les trois jours qui suivent votre entrée dans le pays. Vous posez votre tente près du port, au bord de l’eau, à proximité d’un hôtel qui, en échange de vos consommations, vous permet d’utiliser des douches et des toilettes. Un hôtel dans lequel loge d’ailleurs Christophe qui vous rejoint pour partager une deuxième fondue (votre dernière portion) comme pour ne pas oublier d’où l’on vient.
Une fondue sur une plage du Togo avec un Jurassien, magie de l’instant !
Décidément cet hôtel est plein de surprises puisque vous y rencontrez aussi Francine et son mari, qui voyagent en side-car.
Vous discutez tous ensemble, autour d’un repas, de ce voyage, puisque vous êtes tous sur le même projet. Vous partagez vos espoirs, vos désillusions, votre compréhension de ce continent. Il est évident que vous vous forgez une idée de chaque pays aux gens que vous rencontrez, aux expériences que vous vivez et à la nourriture que vous ingurgitez. C’est intéressant de voir que chacun à une idée différente des pays traversés, sans que pour autant, ce soit le jour et la nuit. Dans les grandes lignes vous vivez la même expérience, mais les anecdotes, les surprises et les sourires rencontrés, chacun possède les siens.
C’est d’ailleurs Francine qui vous convaincra d’aller visiter le nord du pays. Pas tout au nord, car c’est dangereux, mais au moins jusqu’à Kara, le village de huttes en terre. Vous savez que c’est aussi dans ce coin que vous devriez être au contact avec le vaudou.
Vous décidez de partir le lendemain pour Kara, dans une aventure qui devrait durer 4 jours.
L’argent n’arrive toujours pas.
Vous êtes très inquiet. La directrice d’Abdel ne répond plus, elle a fait un burn-out. Elle est en congé maladie. Vous essayez d’appeler différents contacts pour avoir une idée de ce qui se passe, mais tout le monde vous dit de rester calme, de vous rassurer, Abdel tient toujours ses engagements.
Fin avril, le téléphone sonne. C’est la directrice d’Abdel. Elle ne va pas mieux, mais ce qu’elle a à vous dire est important !
- Abdel vient de m’appeler et comme je déteste les bruits qui courent, je me permets de t’appeler pour ne pas que tu paniques !
- Ah bon ? Mais que se passe-t-il ?
- En fait, l’hôtel est en passe d’être racheté par une fondation du canton de Vaud, ce qui annulerait ton mandat, mais je veux absolument que tu saches qu’Abdel a été très clair à ton sujet : si ce n’est pas dans cet hôtel, ce sera dans un autre, on en possède assez et le concept de cette hôtel team-building, on y croit à fond. Donc je te rappelle en début d’après-midi pour te dire où cela en est.
Vers 15 heures, la directrice rappelle :
- Le deal ne s’est pas fait, donc on reste sur ce qu’on a dit, on va le faire cet hôtel. Je suis trop contente.
- Mais le fait qu’il ait voulu vendre, c’est un “mauvais” signe, non ?
- Non, c’était une opportunité, Abdel a tenté de la saisir, mais ne t’inquiètes pas. D’ailleurs je lui ai dit, parce qu’il m’a demandé : “mais si ça ne se fait pas, ce parc, HENIGMA me coûterait combien ?”, alors j’ai rigolé et je lui ai expliqué que ton contrat était tellement en béton qu’il finirait par lui coûter presque un million de francs suisses, donc tu vois, tu n’as pas à t’inquiéter. Toutes les choses sont très claires dans nos têtes à tous les trois.
Vous n’avez pas à vous inquiéter !
Début mai, c’est la secrétaire de direction d’Abdel en personne qui vous appelle : Abdel souhaite vous rassurer. Il demande à vous parler. Il propose une visioconférence entre vous vendredi prochain à 13 heures.
Vous acceptez, soulagé.
Le téléphone se passe bien, Abdel vous explique qu’il y a eu des retards et qu’il a eu peur que vous abandonniez le projet. Mais si vous êtes toujours partant, l’argent sera sur votre compte lundi !
Vous raccrochez en expirant !
Pourquoi ces montagnes russes émotionnelles alors que tout se passe finalement bien. L’argent sera sur le compte lundi. Il aura fallu 2 mois et demi, mais enfin, le virement va être signé !
Vous appelez vos trois principaux partenaires pour les rassurer à votre tour.
Vous avez tellement douté ! Mais pourquoi !