
Chapitre 5 IOVMEDR
C’est fou !
Au moment de partir, les gens n’avaient pas pris conscience que vous étiez si malade.
Rien d’exceptionnel, juste un spleen. Un mal-être si profond qu’il vous laisse, jour après jour, tétanisé assis par terre. Vous attendez que le temps passe. Vous qui aviez si peur de mourir, vous voilà en train d’attendre la mort.
Chaque mouvement vous demande un effort surhumain. Lorsque vous vous déplacez de quelques mètres, vous sentez le souffle qui vous manque. Vous dormez, mais vous êtes toujours fatigué. Vous avez de la peine à penser. Vous vous sentez tout le temps fébrile et vous ne mangez presque rien.
Mais vous souriez, parfois, quand vous sentez qu’on vous regarde.
Vous vous habillez de ce rictus qui permet de vous camoufler.
Vous vous sentez coupable.
Coupable de baisser les bras, d’abandonner, de vous en détacher.
Plus cette culpabilité vous envahit, plus vous avez honte de votre caprice, d’être celui que vous êtes. Vous pleurez votre mal-être, dégueulez votre humanité.
Cette honte vous tétanise, alors vous vous sentez coupable, encore plus, d’autant plus.
Il reste 21 jours avant le grand départ.
Vous avez à la fois peur, vous êtes aussi pressé et vous souhaitez en même temps repousser ce délai, car vous savez qu’il est certainement le couperet des dernières fois : la dernière fois que vous verrez untel ou untel, la dernière fois que vous verrez cet enfant, la prochaine fois il sera adulte. La dernière fois que vous voyez cette personne si âgée que la probabilité de la revoir est quasi nulle.
Il y en a qui mourront avec les problèmes qu’ils vous ont causés, mais d’autres ne seront qu’un dommage collatéral dû à vos faiblesses.
Il n’y a hélas pas de chemin permettant un compromis, seulement des chemins compromettant !
Votre intuition vous joue des tours, jouet de votre folie mentale : vous sentez que vous ne reviendrez jamais. Vous savez que c’est faux, raisonnablement, mais vous sentez la boule au ventre qui grandit et qui vous métastase tandis que vous attendez, tétanisé, assis par terre.
Alors vous vous rassurez. Ne plus revenir ne signifie pas tout quitter.
Vous les reverrez, ailleurs, tout simplement.
Vous saviez que ce dernier mois serait atroce.
Lorsqu’on est prêt, il faut partir.
Mais vous avez décidé de faire les choses correctement, en laissant aussi à ceux qui vous entourent le temps de s’y habituer. Vous avez fixé quelques rendez-vous avec des personnes qu’il vous importe de voir avant votre départ, votre programme est millimétré.
Vous avez décidé de faire la nique au temps, de lui tordre le cou, de le maîtriser et de le faire taire, au moins pour un temps.
Alors ce temps, vous le laisserez agir durant 21 jours encore, 21 jours seulement, puis il disparaîtra à jamais, cantonné à ne plus ressembler qu’à un jour qui se lève et à un soleil qui se couche.
Vous avez hâte !
