
Chapitre 48 IOVMEDR
Le dimanche matin, vous partagez le café avec les deux Suisses qui sont allés au village acheter des œufs. Ils y ont d’ailleurs rencontré le chef du village.
- Il était un peu bourré, vous disent-ils gênés.
Tandis que vous riez de ce chef du village, quatre hommes armés de machettes débarquent sur deux petites motos.
- Vous avez une heure pour vous présenter au chef du village !
Alain s’éloigne. Il n’aime pas trop les conflits.
Vous vous levez, vous vous approchez, vous souriez !
- Bienvenue mes amis, on est ensemble ! Qu’est-ce qu'il se passe ? - Il se passe que vous n’êtes pas autorisés à dormir ici sans en demander l’autorisation au chef du village. Alors il a dépêché une délégation pour vous inviter à venir le voir.
Vous vous levez. Vous êtes imposant. Très calmement, vous lui répondez :
- Non, s’il veut nous voir, il peut se déplacer.
Vous sentez que le froid s’installe malgré les trente degrés, vous poursuivez :
- Je suis arrivé vendredi, j’ai croisé le professeur Laurent qui m’a dit qu’il transmettrait mes hommages au chef du village. Ce même chef qui a trouvé le temps, durant la fête des enfants, de venir nous dire bonjour hier, samedi, en fin d’après-midi. Et ce matin encore, Mél et son mari sont allés au village, ils l’ont rencontré, ils l’ont salué.
- Je comprends ! Donc vous refusez de venir ?
- Oui, nous refusons de venir, mais comme nous ne sommes pas les bienvenus ici, nous allons tout ranger et nous en aller.
- Attendez, je reviens.
Décidément, les visites des autorités communales, ce n’est pas votre truc.
Vous vous mettez dans votre chaise, un peu déçu de devoir quitter cet emplacement, mais voilà. Finalement, si le camping sauvage coûte autant de relations sociales, vous préférez trouver des camping pas trop chers pour éviter ce va-et-vient incessant de gens dans des spots sauvages.
Vers 11 heures, la même délégation revient. Ils sont une quinzaine. Mél fait un pas en arrière. Vous êtes bien conscient qu’on ne crée pas une guerre pour si peu, mais vous n’êtes pas habitué à ce genre de mouvement de masse. Vous êtes un peu inquiet.
Un homme bien habillé s’approche de vous. Il vous tend sa carte de visite. C’est une sorte de carte d’identité plastifiée sur laquelle il y a écrit en grand : chef du village !
- Mais ce n’est pas vous le chef du village, on l’a rencontré plusieurs fois, dites-vous en bégayant…
- Lui ?
Un homme avec le visage tuméfié, les bras attachés dans le dos, vous est présenté.
- Oui, c’est lui.
- Cet homme s’est fait passé pour le chef du village pour tenter d’obtenir des avantages de votre venue ici. Nous allons le châtier comme il se doit. Maintenant, en ce qui vous concerne, soyez les bienvenus chez nous.
Vous commencez par expliquer que vous ne voulez pas d’histoires pour ce pauvre petit faux chef du village, mais vous abandonnez vite. Ce n’est pas votre rôle !
Vous prenez l’apéro ensemble. Le chef du village vous présente sa délégation, du chef des constructions au ministre de l’éducation du village. Vous buvez des noix de coco, vous faites des selfies, vous riez, vous partagez.
Dès votre ouverture, Jicé est venu pourrir la vie de votre local avec une imagination débordante :
- il a commencé par expliquer à tout le bâtiment et même aux médias que vous n’ouvririez jamais puisque vous aviez fait faillite,
- il a proposé des salaires plus élevés à tout votre personnel,
- il a demandé à vos clients de payer pour accéder à la rampe qui donne accès à votre espace, 20 chf pour monter sur la rampe, Securitas au garde à vous devant la première marche,
- alors que vous fermez à 23 heures, il éteint toutes les lumières à 18 heures,
- il envoie tous les visiteurs du bâtiment aux toilettes chez vous,
- il enlève tout signalement de vos activités au sein du bâtiment et à l’extérieur, il vous empêche de vous signaler, il impose “aucune signalétique à moins d’un mètre cinquante des fenêtres” allant jusqu’à pénétrer votre espace durant la nuit pour en déchirer les affiches,
- devant votre porte d’entrée, où il devrait y avoir noté “Time Machine”, qui est le nom de votre centre, il a fait construire et poser un panneau “Coworking” pour être sûr que personne ne vous trouve jamais, - il a pris contact avec vos partenaires pour vous dénigrer et tenter de racheter vos contrats, il n’aura réussi qu’avec le simulateur de F1 que vous aviez pris dans vos murs que sous la pression de votre “partenariat”. Cela vous arrange, mais il va falloir trouver une autre activité à mettre sur cet espace qui vous coûtera cher en loyer. Énuméré comme cela, avec des tirets, cela laisse penser qu'il s'agissait de petites mesquineries qui passeraient, mais vous vous en souvenez: cela a duré 3 ans avant que quelque chose ne se passe. Comme on vous a expliqué maintes fois que vous n’étiez pas un justicier, vous avez demandé l’aide de la justice et il lui aura fallu 3 mois pour venir sur place constater les faits, 2 mois de plus pour décider de punir Jicé et de lui faire enlever ses panneaux qu’il n’enlèvera que 2 ans plus tard. Vous avez beau relancer la juge pour lui expliquer que sa décision n’est pas respectée,elle vous dit qu’il y a des procédures pour faire respecter une décision: il vous faudra relancer une action, ce que vous faites. Cela prendra 18 mois, de chicanes débiles, vous déposerez une plainte auprès de la police à chaque fois que Jicé ordonnera à des entreprises de pénétrer illégalement chez vous parce que ça le fait rire. Plus de 40 plaintes ! À tel point qu’un jour, le policier chargé de l’enquête vous demandera de retirer toutes ces plaintes "car il faut s’en prendre au coupable, Jicé, qui leur ordonne de venir, mais ces sous-traitants qui pénètrent chez vous le font en toute bonne foi". Le policier vous rend attentif que vous allez punir des personnes qui, comme vous, se sont faites avoir par Jicé.
Vous n’êtes pas méchant. Vous retirez toutes les plaintes sauf celle contre Jicé.
Aujourd’hui, 4 après le dépôt de cette première plainte, elle n’a toujours pas été traitée par le procureur du canton de Vaud.
Et pire encore, dans la tête de la juge civile, vous êtes chiant.
Elle a décidé ! Que voulez-vous de plus? Elle n’a pas que votre dossier à traiter.
Vous n’osez imaginer comment vous auriez été reçu par Yverdon si vous n’aviez pas eu tous ces problèmes. Entre votre clientèle qui ne vous trouve pas les locaux, les signalétiques qui vous font passer pour des amateurs et la quasi inaccessibilité du lieu, vous avez de la chance que vos chiffres soient quand même dans le vert. C’est ce qui vous donne le courage de continuer, ainsi que votre personnel, des hommes et des femmes qui tiennent la baraques contre vents et marrées, même si parfois, vous devez leur remonter le moral : - Vous avez raison, vous ne méritez pas ça, espérons que la justice soit rendue, une fois.
Il faut une force mentale surhumaine pour résister à ce genre de chicanes durant trois ans.
Il faut beaucoup de résilience pour croire que la justice vous aidera après ça.
Croisons les doigts !