
Chapitre 47 IOVMEDR
Au matin, vous reprenez la route. Vous n’allez pas très loin, mais vous avez gardé contact avec un autre couple de Suisses qui sont partis en mai de Bulle pour tenter la même aventure que vous.
Avec les aléas de la route, il se trouve que San Pedro est l’endroit où vous devriez vous rejoindre.
Jusqu’à présent, vous avez évité de faire du camping sauvage, du moins sur les plages idylliques. Lorsque vous y avez été contraint, vous visiez plutôt un village auquel vous demandiez l’hospitalité pour une nuit. Mélanie et son mari vous ont proposé de les rejoindre sur la plage de Taki. C’est une plage relativement réputée, il y avait un complexe hôtelier, enfin des huttes louables, un "projet de blancs" qui s’est arrêté aux débuts des années 2000. Aujourd’hui la plage est à l’abandon, administrée par le village qui se trouve à quelques kilomètres de la plage.
Lorsque vous arrivez, il est presque 13h. Vous regardez votre GPS, vous devez être à seulement une cinquantaine de mètres de la fameuse plage, mais la descente est très impressionnante. Vous décidez de le parcourir à pied. C’est un sentier de terre avec une large et profonde rigole qui serpente en son sein, passant de droite à gauche, comme un rappel plus court de ce que vous avez vécu en Guinée.
Vous remontez pour chevaucher Lily. Empli d’appréhension, vous vous élancez vers le bas.
Vous arrivez sur cette magnifique plage digne d’une carte postale.
Vous êtes seul.
Pas de Mél, juste une petite moto locale parquée un peu plus loin.
Vous ne connaissez pas les aptitudes de conduite du couple, alors vous prenez le temps de les prévenir de l’état des cinquante derniers mètres de la route. Vous choisissez un emplacement pour votre tente, vous repositionnez votre moto.
Cela vous ennuie d’être seul ici, sans connaître les us et coutumes de la région en matière de camping sauvage. D’abord, vous n’êtes pas certain que le couple suisse va vous rejoindre, ensuite vous êtes seul, caché, un peu, mais tout seul.
La Côte d’Ivoire ne paraît pas être un endroit dangereux, mais quand même.
Vous vous dirigez vers cette autre moto pour essayer de voir s’il y a quelqu’un qui pourrait vous aiguiller sur le meilleur moyen d’éviter les problèmes.
Derrière un palmier, vous trouvez le regard de madame, à quatre pattes, qui vous regarde en se mordant la lèvre tandis que monsieur est derrière elle à s’affairer, accroché à ses hanches.
Vous tournez la tête rapidement. Vous rejoignez votre emplacement. Vous oubliez rapidement cette levrette pour mettre en place votre tente.
Vous êtes certain qu’il vous a vu.
Bon, ben voilà… vous avez vu deux personnes qui s’aiment dans un palmeraie.
Alors que votre tente est presque montée, vous voyez un couple, -oui, eux…- sortir de la jungle.
- Bonjour, je m’appelle Laurent, je suis le professeur du village.
Vous le saluez à votre tour. Un peu gêné, mais tout le monde semble accepter le fait de faire semblant que personne n’a rien vu.
- Je voulais me mettre ici pour passer la nuit, mais je n’aimerais déranger personne, vous pensez que c’est possible ? Je ne suis pas habitué à ce genre de choses.
- Oui, bien entendu c’est possible.
- D’habitude, je demande au chef du village, mais ici, il n’y a pas de village, dites-vous en riant.
- Si, si, il est un peu plus loin, à 15 minutes de marche. N’hésitez pas à aller demander au chef du village.
Vous lui expliquez que vous ne pouvez pas laisser votre moto avec toutes les affaires comme ça ici. Ni y aller en moto et laisser votre tente toute seule sur la plage.
- Vous pourriez transmettre mes hommages au chef du village ? Vous lui dites que je passerai en partant le remercier, mais que là, c’est un peu compliqué pour moi.
Laurent vous fait un signe de la main. Bien sûr qu’il va vous rendre ce service, il comprend.
Mélanie et son mari arrivent dans l’après-midi. Leur présence vous ressource. Avec Alain, vous allez faire du pain, il a acheté de la levure. Vous échangerez sur différents sujets et surtout, vous apprécierez ce petit moment d’échange avec un local de chez vous.
Le lendemain, un homme se présente vers vous trois. C’est le chef du village, il vous souhaite la bienvenue. Vous êtes étonné, car Laurent vous avait expliqué que le samedi était la journée de Noël des enfants de la région et que le chef du village serait trop occupé, mais tant mieux, il est venu. Quel honneur !
- Pour dormir là, pas de problème, vous êtes les bienvenus.
- Merci, chef.
Vous échangez sur la politique locale, la distance de San Pedro à Abidjan, sur les plats nationaux et sur la culture locale.
Plusieurs fois, le chef du village vous demande si vous n’avez pas d'alcool ou une bouteille de whisky, en guise de paiement pour les nuits que vous allez passer là. Vous ne cédez pas. Non mais une bouteille de whisky, c’est hors de prix ici, pensez-vous sans le lui dire. Jicé n’acceptera pas votre attitude. À peine le mois de janvier débuté qu’il va commencer à mettre la pression sur vous : vous avez prévu de faire la garantie de loyer via une des sociétés de cautionnement moyennant un payement annuel. Vous avez fait comme cela, toujours et sans aucun problème, mais le COVID a redistribué les cartes : les entreprises dans le divertissement et la culture sont des entreprises à risque et tant que les mesures COVID s’appliqueront à des entreprises comme la vôtre, ces sociétés de cautionnement n’entreront pas en matière.
Jicé vous envoie un recommandé : vous avez 3 jours pour réunir la garantie de loyer ou alors il reprendra possession de vos locaux. On parle d’une garantie de loyer de 100’000 CHF tout de même. Vous hypothéquez une partie de votre maison pour réunir la somme qui permet la garantie, vous assurant cependant que les entreprises de cautionnement analyseront la possibilité de reprendre ces garanties de loyer une fois la crise du COVD passée.
C’est aussi cela, être chef d’entreprise. C’est accepter de prendre un risque sur sa propre maison alors que vous vous étiez juré de ne jamais passer cette limite, mais bon, à situation extraordinaire, mesures extraordinaires.
Jicé fait courir des bruits sur vous. Il commence une campagne de dénigrement au sein des locaux d’Explorit. Vous demandez à Jicé de ne pas avoir à payer la participation aux frais de marketing s’il est décidé à ne jamais en faire pour vous. Contre toute attente, Jicé accepte : il ne veut pas dire du bien de vous. Il fait un avenant au contrat qui spécifie ce point qu’il signe sans attendre.
Du côté du bâtiment, l’eau sera distribuée dans les étages à la mi-mars, ce qui fait que la commune d’Yverdon accepte de venir revoir vos locaux fin mars.
La commune vient seulement contrôler que l’eau courante est disponible et constater que les devoirs qui incombaient au propriétaire, comme les accès et les chemins de fuite, sont cohérents avec le concept de sécurité.
HENIGMA reçoit l’autorisation d’exploiter le 1er avril 2020.
Les restaurants reçoivent le droit d’ouvrir le 4 avril, par la Confédération. De votre côté, les restrictions pour les locaux de culture et de divertissement sont toujours en vigueur, ils doivent rester fermés.
Vous recevez l’autorisation d’ouvrir le 10 juin.
Heureusement, vous avez ce mail qui vous garantit de ne payer le loyer qu'à l’ouverture. À 20’000 CHF de loyer par mois, cette décision fut vraiment une bonne décision, merci à vos partenaires bancaires qui vous l’ont imposée.
Le 5 juillet, vous êtes expulsés du bâtiment par Jicé et son gestionnaire d’immeuble.