40. …l’essentiel, c’est de se relever !

40. …l’essentiel, c’est de se relever !

Dimanche, Février 9, 2025 [ROMAN]

Chapitre 40 IOVMEDR

Vous seriez bien resté une nuit de plus, mais l’hôtel a été réservé complètement pour un anniversaire. Washington, le gérant du lieu, vous explique qu’il n’a plus de chambres disponibles.

Vous vous préparez à reprendre la route. Le passage en Côte d’Ivoire se fera aujourd’hui. Vous êtes inquiet, pas vraiment en forme, mais vous n’avez pas le choix.

Il y a cette phrase que les gens se répètent sans cesse : “l’important n’est pas de chuter, mais de savoir se relever”.

De votre expérience récente, “se relever” est instinctif. Le plus dur, c’est d’accepter, de comprendre, de digérer.

Vous avez pris le temps de faire passablement de recherches sur internet pour comprendre ce qu’il s’est passé. Quelques amis dans le monde de la moto vous ont aussi répondu. Une chose est certaine, le pneu arrière n’était pas assez sous pression, alors il s’est décollé puisque vous avez des roues tubeless (sans chambre à air) et il s’est décollé. Dans ce genre de pneu, c’est la pression qui maintient le pneu à la roue.

Avant de quitter Ganta, vous vous arrêtez dans un garage pour vérifier la pression des pneus. C’est étrange, le pneu avant n’a pas bougé. C’est une simple intuition, mais si vos quatre jours au bord de l’océan avaient eu une quelconque influence sur la pression de vos pneus, cette influence ne se serait appliquée qu’au pneu arrière. Vous déduisez peut-être à tort que vos problèmes viennent donc bien d’une crevaison. Une crevaison si lente que votre pneu s’est dégonflé peu à peu, jusqu’à arriver à une pression si faible qu’il s’est détaché de votre roue arrière.

Comment prévenir cela à l’avenir ?

C’est idiot, mais vous faites partie de ces gens qui ont des certitudes. La certitude, par exemple, qu’un accident de moto est toujours dû à une faute. Une faute du pilote parfois, celle de l’automobiliste en face d’autres fois, mais c’est rassurant de savoir que c’est le fait d’une erreur. Et que donc, pour éviter la chute, il suffit de ne pas faire de fautes.

Dans votre cas, il n’y a pas eu de fautes.

C’est inquiétant.

Votre idée de conduire avec perfection ne sert à rien sur ce coup-là. Dans un autre décor, avec des glissières, une voiture en face ou un camion derrière, vous seriez mort. Vous auriez pu vous arrêter au moment où vous avez senti du jeu dans le guidon, mais vous manquez d’expérience et ces pneus à crampons prévus pour l’off-road, vous en êtes équipés pour la première fois, vous ne les sentez pas encore très bien. Plutôt que de vous arrêter pour comprendre, vous avez pensé que c’était normal, un problème d’axe ou de roulement à billes dans votre système de direction. Si vous vous étiez arrêté immédiatement, auriez-vous vu le problème ? C’est exactement votre propos : se relever, si vous êtes physiquement en état de le faire, c’est facile, c’est même intuitif. Mais accepter que vous n’y êtes pour rien dans cette chute, essayer de voir comment vous auriez pu l’éviter, apprendre à diminuer le risque et surtout l’accepter, c’est cela, le grand défi. Accepter qu’on ne contrôle pas tout. Apprendre à assumer ses propres responsabilités tout en évitant de charger ses épaules de la responsabilités des autres. Prendre conscience que le destin, la chance, ou quel que soit le nom que vous lui donniez, quelque chose existe qui définit parfois à votre place des évènements sur lesquels vous n’aurez aucune emprise.

La route est bitumée. Parfois, un pont est en train d’être refait ou réparé et une déviation est en place pour vous faire passer de côté, sur une centaine de mètres de terre. Cela ne vous fait plus peur. Entre la douleur de vos muscles, vos plaies qui collent à la chemise, l’embrayage à deux doigts et le cale-pied manquant, cette situation vous demande plus d’effort, mais ça passe.

Nous ne sommes pas toujours responsables de ce qui arrive, mais nous sommes pleinement responsables de notre propre gestion de cet évènement.

La frontière approche.

C’est une douane qui se déroule calmement, rapidement. Vous passez moins d’un quart d’heure pour sortir du Libéria, c’est un peu plus long en Côte d’Ivoire. De surcroît, c’est une joie de parler français à nouveau.

Un membre de la police des stupéfiants tente de vous faire démonter votre moto et son équipement. Mais vous discutez. Vous sentez que vous êtes à bout, cela vous énerve. Vous comprenez que ce monsieur ne fait que son métier, mais c’est ridicule de contrôler un voyageur en moto. Vous êtes quelque peu de mauvaise foi. Vous lui reprochez de ne pas avoir un chien renifleur. Le ton monte, les voix s’emportent. Le chef de ce monsieur intervient. Il vous demande :

- Vous allez où ?

- Je vais jusqu’à Man.

Il regarde votre passeport, puis sans discuter :

- Merci beaucoup monsieur, nous vous souhaitons un bon voyage. Bienvenue en Côte d’Ivoire.

Le jeune policier fait mine de prendre la parole, mais le chef l’en empêche d’un geste ferme. Vous poursuivez votre chemin. Vous ne savez pas si vous avez été victime d’un privilège de blanc, si le chef a réglé un problème qu’il avait avec son subordonnée ou si vous avez simplement eu de meilleurs arguments qu’eux.

Le fait est que vous roulez.

Vous n’êtes pas un adepte de ce genre de privilège, mais aujourd’hui, dans votre état, vous remerciez votre bonne étoile qu’elle vous ait simplifié la vie.

Cette bonne étoile vous avait oublié en 2020, alors en plein COVID. Vous étiez persuadé qu’il fallait profiter de l’opportunité de cette pause imposée pour agir. D’habitude vous étiez forcé de mener la vie de tous les jours en même temps que les projets d’expansion, mais ce COVID imposait un frein à vos activités usuelles, vous n’alliez pas rester les bras croisés.

Surtout que la situation était plutôt dramatique : vous protégiez vos employés par la réduction des horaires de travail, financée par la Confédération, mais les autres frais, les loyers, votre propre salaire, n’étaient couverts par rien, vous aviez peur de ne pas vous en sortir. Cette situation durera deux ans, dont 18 mois de fermeture imposée. Pour couronner le tout, la Confédération, qui vous avait promis de vous aider, de ne pas vous laisser tomber, n’a malheureusement pas tenu ses engagements. Elle vous a aidé pendant 12 mois, puis elle vous a abandonné les six derniers mois, vous laissant au sortir du COVID avec une dette inimaginable. Vous êtes, d’ailleurs, toujours en train de les éponger. C’est en quelque sorte un miracle qu’HENIGMA ne soit pas morte.

C’est peut-être grâce à cette idée apparue en 2020 : créer un deuxième centre plus grand, fort des expériences déjà menées à Sion. Vous alliez profiter de cette fermeture généralisée pour emprunter plus d’un demi-million de francs aux banques pour vous installer à Yverdon avec un nouveau centre.

Vos recherches vous ont mené à un bâtiment magnifique en construction dans Y-parc, dont le propriétaire, Jicé, vous promet monts et merveilles.

Vous pensez, -à tort,- que votre avenir est lumineux.

Vous ne saviez pas encore que Jicé était un incapable qui surfe sur la vague d’une réputation de fortune, assez d’argent pour camoufler son incompétence de taille.

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