
Chapitre 39 IOVMEDR
Le commandant n’aura jamais le temps de répondre, car au loin vous distinguez une moto, avec un pneu arrière, porté à bouts de bras.
Votre ami revient. Vous avez eu raison de lui faire confiance.
Il vous explique que le pneu est monté, il ne reste qu’à le fixer sur la moto, mais…
Parce qu’il y a un “mais”…
Le prix du pneu a augmenté. Il est passé à 100 USD. Il a essayé de négocier mais sans succès. Afin de gagner du temps, il a mis en dépôt son téléphone portable et ses biens auprès du garagiste.
Vous le calmez, vous lui donnez l’argent manquant, vous le remerciez et vous demandez que la roue soit remontée sur la moto.
Dans l’intervalle, vous faites quelques pas en dehors de tous ces gens qui vous encerclent.
Vous souhaitez le remercier. Vous lui tendez 10 USD. Vous lui dites que c’est pour ses frais, mais aussi pour lui témoigner votre gratitude.
Il n’en veut pas. Il préfère être votre ami.
- Mais tu es mon ami, on est ensemble. Regarde.
Vous lui tendez un autocollant de votre projet M.A.P.
- Il y a mon site internet, tu pourras aller dessus et voir les vidéos que je fais. Si tu le souhaites, il y a même un formulaire de contact, on pourra se parler.
Il semble content. Il vous rend tout de même l’argent.
- Tu m’as donné cet argent devant tout le monde, ils ont vu, je ne dois pas l’accepter sinon je vais devoir partager.
- Mais ils n’ont rien fait, alors que toi tu m’as aidé.
Il ne sert à rien de discuter.
Vous reprenez l’argent.
- Alors laisse moi t’offrir autre chose.
Vous le saisissez par le bras. Vous l’amenez jusque vers votre sacoche de réservoir. En le guidant discrètement, vous introduisez votre main dans sa poche de veste. Vous y déposez l’argent.
- Voici un stylo avec mon projet, je te l’offre. Grand merci à toi.
Vous lisez dans ses yeux qu’il a compris la manœuvre.
Votre moto est maintenant prête à reprendre la route. Vous fixez vos bagages. Vous vous tournez vers le représentant de la police :
- Monsieur, je tiens à vous remerci…
Il vous coupe :
- Pourquoi vous vous adressez seulement à moi. Nous étions tous là pour vous aider !
- Oui, en effet, et je vais m’adresser à tous, mais chacun à son tour.
Vous comprenez une fois encore qu’expliquer, débattre, argumenter ne sert à rien. Vous vous mettez donc à vous adresser à tout le monde :
- Je tiens à vous remercier, tous, pour votre aide.
Vous distribuez une trentaine d’autocollants.
- Votre aide a été d’un grand secours pour moi. Je n’oublierai jamais.
Ils vous regardent. C’est assez étrange comme sentiment.
Résumons : vous donnez de l’argent à votre ami, il le refuse. Vous exprimez vos remerciements au policier, il vous dit que vous manquez de tact. Vous ne pouvez pas donner de l’argent à tout le monde. Et vous vous refusez à en donner à ceux qui sont venu se repaître de vos malheurs, à ceux qui ont tenté de vous convaincre que votre ami n’était pas digne de confiance ainsi qu’à ceux qui vous ont dit que vous étiez dans une insécurité folle et qu’il fallait appeler la police.
Ce doit être un problème de valeur.
C’est compliqué de faire juste.
C’est déjà très difficile quand vous êtes en forme, alors à deux doigts de vous évanouir en repoussant un état de choc qui vous submerge, c’est mission impossible.
Vous reprenez la route.
Ne rien lâcher. Il reste une heure de route. Tenir bon.
Vous roulez, la jambe gauche maintenue en l’air par la force de votre cuisse puisque plus de cale-pied. Vous tentez quand même des positions étranges pour le poser sur un bout de vis, un écrou ou devant, autrement.
Passer les vitesses est aussi un exercice périlleux. Il ne reste que deux centimètres de poignée d’embrayage, donc vous faites au mieux avec un doigt.
Les trois check-points font encore plus mal. C’est déjà insupportable quand vous roulez tranquille, alors dans votre état, il faut gérer votre détresse, votre colère et votre douleur.
Vous arrivez à l’hôtel vers 17 heures.
Enfin !
Vous commencez par régler l’administratif, passeport, paiement, etc. Heureusement vous vous êtes arrêté à un distributeur bancaire juste avant d’arriver.
Puis, vous vous isolez dans votre chambre. Votre corps est une douleur unique, une brûlure. Vous décrochez vos habits des plaies. Cela saigne. C’est comme si le corps voulait se réparer, mais qu’à chaque mouvement vous ré-ouvriez une plaie qui se remettait à saigner.
Vous regardez dans votre trousse de premiers secours. Vous n’avez pas de désinfectant ni de crème, mais vous prenez un anti-douleur et préparez des pansements et de la gaze. D’abord, une douche ! Nettoyer les plaies.
Vous informez vos proches de la situation.
Vous brûlez à chaque fois que l’eau tombe sur votre peau, ouverte, béante.
Ce n’est pas une douche, mais un seau d’eau froide. Le mouvement pour vous doucher fait mal à lui tout seul. Vous sentez vos muscles, courbaturés, vous avez dû leur appliquer une tension de fou tandis que vous tourniez sur l’asphalte.
Le contrecoup vous submerge.
Vous êtes en état de choc.
Vous décidez de prévenir l’hôtel que vous resterez deux nuits plutôt qu’une. Il est temps de vous reposer et de reprendre des forces.
Ce matin, vous aviez reposé votre esprit. Il est temps de donner du temps à votre corps.