37. Riche camping au Liberia

37. Riche camping au Liberia

Dimanche, Février 2, 2025 [ROMAN]

Chapitre 37 IOVMEDR

Partie IV : Immersion

Ce qui vous choque immédiatement en entrant dans le pays, c’est ce côté très américain du peuple du Libéria.

Vous vous demandez si vous n’êtes pas influencé par leur drapeau, qui ressemble au drapeau américain mais avec une seule étoile. Mais non, ils portent tous un look de basketteur, ils parlent toujours d’argent et leurs banques distribuent des dollars américains. Vous êtes presque au pays de l’oncle Sam. C’est peut-être, après neuf pays, ce qui vous interpelle le plus. Cette faculté qu’a chaque population, à l’intérieur des frontières, d’être typique, originale, caractérisée. Vue d’Europe, l’Afrique semble remplie de pays dans lesquels habitent des hommes et des femmes de couleur noire. Mais si on gratte un peu, lorsqu’on y vient, on voit toute la richesse culturelle de ces pays qui se sont faits en partie grâce à leur propre culture et presque toujours bouleversée par la culture d’un pays colonisateur.

Votre impression, c’est que le Sénégal n’a vraiment rien à voir avec la Gambie qui n’a vraiment rien à voir avec la Guinée-Bissau, et ainsi de suite.

Vous vous interrogez si on peut dire de même des pays européens.

Il vous semble que oui. Un Portugais n’a strictement rien à voir avec un Français qui n’a vraiment rien à voir avec un Anglais.

La logique est donc respectée.

Mais qu’aviez vous donc en tête pour mettre tous les pays africains dans le même panier ?

Vous êtes heureux d’avoir rétabli une injustice intellectuelle majeure provoquée par l’ignorance. Vous quittez ce havre de paix qu’était la Sierra Leone pour pénétrer le chaos indescriptible de Monrovia, capitale du Libéria. Plusieurs locaux vous ont prévenu d’éviter la ville mais vous êtes partagé entre la curiosité de la découvrir malgré sa dense circulation et le besoin vital de trouver un distributeur de billets de banques.

Vous traversez finalement la ville qui est très belle. Vous ne vous y attendiez pas. C’est comme plusieurs petits villages mis côte à côte, avec plusieurs ponts qui vous font passer au-dessus d’estuaires, de fleuves et de bras d’océans.

Vous êtes content d’être passé par là, d’autant plus que vous avez trouvé un supermarché dans lequel vous vous êtes ravitaillé en pâte, sauce tomate et vin.

Vous hésitez entre vous arrêter dans un hôtel à une heure de Monrovia, avec wifi, mais à 50 USD la nuit, ou un emplacement de camping qui semble être idyllique au bord de l’océan deux heures plus loin.

Vous êtes en confiance, vous tentez le camping magnifique.

Les 30 derniers kilomètres sont une piste en terre, cependant, vous êtes presque blasé : vous enlevez l’ABS, vous vous mettez debout et vous avalez ces 30 kilomètres en moins d’une heure. Vous arrivez après 7 heures de moto dans ce petit endroit paradisiaque. Vous êtes fatigué.

La propriétaire est surprise de vous voir arriver, elle regrette que vous ne l’ayez pas appelée avant de venir.

Vous sentez que ça ne va pas se passer comme vous le souhaitez.

En effet, depuis votre début de voyage, c’est le camping le plus cher et de loin : 15 francs par nuit si vous restez 4 nuits et aucun service. En fait, vous payez la vue. Pas de wifi, pas de restaurant, pas de bar, rien.

Vous n’avez pas envie de vous prendre la tête, juste de monter votre tente avant l’arrivée de la nuit, et vous aviserez. Ce sont des Américains qui tiennent ce camping. Ils viennent chacun leur tour vous saluer. Ils vous expliquent combien ils font des choses merveilleuses, qu’ils sont là depuis 13 ans, qu’ils ne sont pas vraiment propriétaires du lieu, néanmoins, qu’ils ont monté une fondation qui vient en aide aux "pauvres petits noirs incapables de s’en sortir tout seul". Ils vous expliquent que le camping est cher, en effet, mais ce n’est pas de l’argent qu’ils mettent dans leur poche, mais bien une aide que vous fournissez à ces gentils noirs qui tiennent le lieu. Ils précisent aussi que le site ne propose pas d’alcool. Ça ne dérange pas si vous en amenez vous-même, ils sont tolérants, mais pas d’alcool en vente, ce n’est pas leur truc. Ah oui, si vous souhaitez manger, c’est vers 18 heures. Et ils espèrent que vous mangerez local, sinon c’est Madame qui doit faire et c’est forcément plus cher. Comptez le double. Leur fantastique fondation est chrétienne, vous comprenez, c’est grâce au Seigneur que ces pauvres petits noirs vont certainement s’en sortir. Ils doivent absolument être attentifs à ne pas créer de dépendance avec les locaux, ils souhaitent absolument pouvoir partir sans péjorer l’exploitation du lieu qui reviendra donc à ces petits êtres noirs qui auront fini par être éduqués. Vous laissez passer l’orage, comme on dit.

Ces gens vous dégoûtent. Il n’y a pas plus intolérants que les croyants. C’est certainement la chose qui vous dégoûte le plus au monde, ces chrétiens bien-pensants qui vous postillonnent leur bienveillance irréfléchie et leurs valeurs ridicules, certain que vous devez vous aussi être sauvé. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont les néo-colonialistes.

Vous, vous souhaitiez juste boire une bière fraîche au bord de l’eau.

Heureusement vous n’avez pas vraiment besoin d’alcool pour être heureux, ni de tabac, ni de rien. Vous avez juste besoin d’être seul. Ce lieu vous le garantit.

Vous vous éloignez des deux Américains.

Vous allez faire votre vie tranquille, remplie de café, de spaghettis et de bains d’océan.

La vue la plus chère du monde ? Qu’à cela ne tienne, vous allez tellement la regarder, cette vue, que vous risquez de l'user !

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