Chapitre 33 IOVMEDR
Vous vous réveillez heureux. Les bruits de la jungle vous ont bercé toute la nuit.
C’est fou comme c’est bruyant et à la fois reposant, une jungle qui frémit la nuit.
Avec le soleil qui se lève, Bobo vient vous annoncer qu’il faut se préparer. Il va mettre à l’eau la pirogue. Mais c’est sa sœur qui vient d’abord vous chercher :
- Mon frère vous attendra.
Elle veut vous présenter au chef du village, le doyen, un vieux monsieur qui est très content de vous accueillir dans son patelin. Vous traversez les quelques maisons, vous discutez avec les enfants. Au bout du chemin, plus loin, derrière les arbres, des hommes travaillent sur la construction d’une maison. Depuis cet endroit, la vue sur la mangrove et la rivière est magnifique.
- Ici, je construis une maison pour les voyageurs comme vous. J’ai eu la chance d’aller me former en Europe, mais je suis d’ici, je suis née ici, alors j’ai très envie que l’ensemble du village puisse obtenir des richesses du lieu qu’ils habitent. Ce sera une maison d’hôtes avec 6 chambres.
La sœur de Bobo est une femme de poigne. Elle donne quelques ordres, puis elle vous ramène au village. Bobo vous prend avec lui, il vous explique que la pirogue vous attend plus loin, vous remonterez la rivière pour tourner autour de l’île. Il est possible que vous voyiez des hippopotames, peut-être des crocodiles, mais surtout des chimpanzés.
Sur le chemin, vous rencontrez des caravanes de fourmis rouges, de gros insectes qui vous pincent si vous les approchez trop. Plus loin encore, Bobo vous explique que le village a planté de la kassava, c’est une sorte de racine qui donne de la nourriture durant 5 ans, 3 fois par an. Il en découpe une racine que vous goûtez. C’est sucré. D’abord vous pensez à de la patate douce, mais c’est trop blanc et pas dans ces goûts-là. Vous saurez en vous aidant d’internet qu’en fait vous venez de vivre votre premier contact avec le manioc, une racine qui ne cessera de vous accompagner le long de votre voyage vers le sud.
Une fois dans la pirogue, vous vous voyez tomber à l’eau toutes les cinq minutes, mais il faut dire que Bobo maîtrise son embarcation. Il vous répète souvent que c’est son métier. Il est pêcheur-cueilleur. Il profite d’ailleurs de votre escapade pour pêcher un gros poisson, votre souper du soir.
Des chimpanzés, vous allez en voir beaucoup, mais de très loin. Vous les voyez jouer dans les arbres, sauter de branches en branches, mais plus vous vous approchez et plus ils se calment et se cachent. Vous avez comme ça des images qui vous traversent l’esprit : vous ne les voyez plus, mais soyez sûr qu’eux, ils vous regardent.
Si vous découvrez plusieurs fois le long du parcours des traces d’hippopotames, vous n’en voyez aucun. Bobo regrette :
- C’est trop tard, il aurait fallu venir vraiment à l’aurore pour les voir, maintenant il fait trop chaud, ils sont retournés se cacher pour affronter la journée. Ils ressortiront en fin de journée.
Hélas, en fin de journée, vous avez quelque chose de déjà prévu au village.
En discutant, la vieille, avec les villageois, vous avez parlé de leur musique et de leurs traditions. Ils ont, dans le village, deux esprits : le premier est un esprit masculin, le second un esprit féminin. Ils prennent possession du corps d’un de leurs habitants pour les cérémonies importantes, comme les mariages, les naissances et les décès. Un des villageois vous a proposé de préparer un spectacle pour vous, devant votre tente, à la nuit tombante, pour découvrir leur tradition. Il vous propose un petit “concert privé” pour 20 USD. Lorsqu’il prend le temps de vous expliquer tout cela, vous voyez dans les yeux des enfants autour de vous, une étincelle d’envie. Vous proposez de payer pour voir ce spectacle, mais pas en privé, pas seul devant votre tente. Vous souhaitez offrir cette fête à tous les enfants du village, le vivre ensemble.
C’est cela qui se prépare en fin d’après-midi, et dommage pour l’expérience des hippopotames, mais quelle belle expérience de vivre la danse des esprits avec les enfants du village.
Vous passez un peu de votre après-midi à ramasser du bois. Ce soir, pour éloigner les insectes, vous ferez un feu devant votre tente. Vous avez pris avec vous une sorte de panier qui contient le feu, évitant d’endommager la nature. Bobo est impressionné par cette technologie. Il vous aide. Vous passez encore du temps à discuter de son pays et des traditions en attendant le spectacle.
Lorsque tout a explosé pour vous en ce 18 septembre 2017, vous avez eu en tête de sauver ce qui pouvait être sauvé. Pour commencer, vous avez pris contact avec votre plus grand concurrent en Suisse Romande et vous lui avez proposé de racheter votre stock de jeux, prévu pour la distribution. Il ne vous en a pas donné grand chose, arguant qu’ils étaient “d’occasion”, il vous a expliqué qu’il préférait acheter ces jeux aux éditeurs directement, pour leur montrer les chiffres réels qu’il réalisait, mais en fin de négociation, il a accepté de vous débarrasser du stock, et c’était pour vous le plus important. Car même les jeter à la poubelle, cela vous aurait coûté de l’argent.
Ensuite vous avez licencié tout le monde. Certains étaient là depuis peu, et ce ne fut pas difficile de respecter les contrats, mais votre magasinier était là depuis longtemps et vous formiez une paire presque amicale. Vous pleuriez en lui expliquant la situation.
Vous avez aussi remis tous les contrats de location : le dépôt, le bureau. Les gens ont été compréhensifs. Vous avez pris le temps d’aller à Essen où vous avez rencontré tous vos partenaires à qui vous avez expliqué la situation. Eux aussi, ils étaient tristes pour vous. Vous avez même travaillé à leur trouver un nouveau partenaire en Suisse en guise de remerciement.
C’est très dur de tout devoir donner, de garder la tête haute alors que tout ce que vous avez construit depuis cinq ans est en train de s’effondrer. Mais vous n’avez pas le temps de penser à une vengeance ou à des regrets, vous tenez absolument à faire les choses correctement pendant qu’il est encore temps. Peut-être que vous reviendrez une fois plus fort ou alors simplement qu’une fois vous aurez besoin de retrouver ces partenaires. Il est essentiel pour vous de bien faire les choses. Cela fait partie de vos valeurs.
Malheureusement, ce n’est que le début de vos désillusions.