31. Choisir la bonne route en Sierra Leone

31. Choisir la bonne route en Sierra Leone

Dimanche, Janvier 19, 2025 [ROMAN]

Chapitre 31 IOVMEDR

Freetown est derrière vous !

Vous avez aimé cette ville, ces gens, cette ambiance.

Décidément, comme toujours, ce qu’on vous avez raconté sur la Sierra Leone est l’amalgame de peurs, de légendes et de résumés de films hollywoodiens, mais en aucun cas la vérité.

Vous parcourez cette magnifique route qui vous emmène vers le Sud. Cette nuit, vous vous arrêterez sur l’île de Tiwai, une toute petite île dans la mangrove qui abrite énormément d’animaux, des chimpanzés, mais aussi des hippopotames et des crocodiles. Il vous tarde.

Sur l’application “Ioverlander”, on vous a prévenu : ce sera cher et impossible d’avoir du réseau sur toute l’île. Vous avez prévenu vos proches. De toute manière, vous avez toujours ce GPS satellitaire qui vous permet d’envoyer de petits messages pour les rassurer.

La route est belle, presque une autoroute, deux voies de chaque côté, séparées par un tapis herbeux, si ce n’est que certaines voitures roulent à contre-sens et que votre trajet est interrompu quelquefois par un marché qui empiète sur la voie de droite.

Vous vous arrêtez vers midi, sans vraiment descendre de votre moto. Vous mangez quelques brochettes de viande de brousse. Vous achetez de l’eau. Vous poursuivez en direction du Liberia.

Votre GPS vous indique un chemin à droite, c’est un chemin de terre. Il vous reste environ 30 kilomètres à parcourir.

Vous souriez. C’est rigolo comme il y a un mois, c’est le genre de route qui vous aurait fait peur. Aujourd’hui vous déclenchez l’ABS, vous vous mettez debout et vous appuyez sur les gaz. Dans moins d’une heure vous serez à votre destination.

Dans votre tête, vous regrettez de devoir camper pour environ 15 EUR, vous trouvez que c’est cher pour simplement planter votre tente en pleine nature, mais ce sont les règles du jeu. Vous vous êtes fixé de ne jamais faire de bivouac sauvage et encore moins dans une nature qui semble hostile et dont vous ne connaissez rien.

À une dizaine de kilomètres de la fin du trajet, vous décidez de descendre de Lily pour y mettre différemment vos caméras, histoire de filmer cette partie-là, que la caméra saisisse mieux votre dextérité en étant debout.

Alors que vous vissez la caméra, vous vous rendez compte que la moto n’est pas stable et une fois n’est pas coutume, elle tombe sur le côté. Pour tenter de la rattraper, vous faites un mouvement désespéré: vous n’arrivez pas à empêcher Lily de se coucher, mais vous cassez votre perche à selfie et le support du téléphone.

Vous vous asseyez à côté de Lily.

Vous vous calmez.

C’est votre vie dorénavant, une vie de nomade faite de chutes et de calme, une vie en miroir de celle d’entrepreneur faite de chutes et de calme, mais autrement !.

Un jeune homme à moto s’arrête pour vous aider à relever Lily, il vous explique qu’il est gardien au camping Tiwai. Vous lui promettez de le rejoindre rapidement. Vous ne savez pas que vous ne le reverrez plus.

Jusqu’à Noël cette année-là, vous vous êtes plongé dans la comptabilité d’HELVETIA Games SA. Vous avez appris la comptabilité, une matière que vous n’aviez jamais étudiée durant votre cursus scolaire ou universitaire. On ne peut pas dire que vous maîtrisez la comptabilité, mais cela a suffit à vous faire prendre conscience de l’état catastrophique de vos chiffres depuis que Filou s’en occupe.

Pour asseoir vos certitudes, vous avez demandé de l’aide à un de vos amis dont c’est le métier: il approuve votre détresse. Le 9 janvier 2017, vous prenez la décision qui va définitivement transformer votre vie en cauchemar : vous licenciez Filou avec effet immédiat pour limiter les dégâts. Vous avez peur de tout perdre.

Vous le faites néanmoins avec les formes. Vous lui demandez de cesser toutes opérations sur votre entreprise, de quelle nature que ce soit. Vous souhaitez le garder comme actionnaire, comme associé, -de toute manière vous n’avez pas le choix-, mais vous lui retirez toute velléité opérationnelle.

Vous retirez ses accès bancaires et vous lui demandez de quitter le bureau.

Vous lui proposez de vous réunir, une à deux fois par mois, ainsi il pourra vous faire part de ses idées, vous pourrez analyser ensemble la situation et décider des mesures à prendre.

Filou quitte le bureau, vexé, fâché.

À un moment donné, vous arrivez à un croisement en Y. Votre GPS vous perd un peu. Devriez-vous aller à droite ou à gauche ? Vous vous décidez pour la droite. Vous pénétrez après quelques kilomètres dans un village, des cases remplies de gens qui préparent le repas et qui discutent, entourés d’une multitude d’enfants.

Vous vous arrêtez pour demander votre chemin.

Celui qui semble être le responsable du village vous amène à un endroit où se trouvent des toits de branches de palmiers, il vous explique que vous pouvez passer la nuit ici. Il vous montre l’île de Tiwai, à quelques mètres de là, juste de l’autre côté de la rivière.

Vous voulez lui répondre que vous vous êtes mal compris, que vous cherchez un vrai camping, mais il vous interrompt d’un doigt sur sa bouche.

Surtout ne pas faire de bruit, dans l’arbre en face de vous, des chimpanzés. Il y en a une quinzaine qui font de l’accrobranche.

- Mais tu crois que je peux dormir en sécurité ici ?

- Oui, j’en suis sûr, tu es dans mon village, tu es mon invité, le village te protégera.

- Et il y a la possibilité de t’acheter de l’eau filtrée ? De manger ?

- Les femmes du village se feront une joie de te préparer à manger. Pour les boissons, on a tout ce qu’il te faut, même quelques bières.

Devant le toit posé sur quatre piliers de bois, un homme est venu porter deux chaises en plastique. Vous vous asseyez.

- Tu sais, moi je suis né ici, je vis ici, et je regrette tous les jours que des gens du continent exploitent un camping sur mon île sans que l’argent ne profite à mon peuple. Alors je veux tenter de les concurrencer et si tu es d’accord, je vais bien m’occuper de toi, comme ça tu pourras dire à tous tes réseaux qu’à l’île Tiwai, il y a un peuple qui sait recevoir.

Vous le regardez, étonné. C’est évident qu’autour du tourisme et des voyageurs, il y a tout un business qui rapporte de l’argent. Parfois c’est presque indécent, comme le prix des visas ou de certains hôtels, parfois c’est juste un peu plus cher que raisonnable, mais vous vous dites depuis longtemps que ce sont les règles du jeu.

Vous n’aviez jamais pris l’ampleur de la concurrence qui règne entre les natifs du lieu et les requins de la finance qui exploitent ces lieux.

Vous lui serrez la main.

- Je serai très content de passer quelques nuits au sein de ton village.

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