
Chapitre 3 IOVMEDR
C’est fou.
Vous vouliez parler de comment vous alliez assurer le fonctionnement de vos entreprises et c’est l’AVC de Charlotte qui fait surface !
Quand les soucis d’ordre privé viennent polluer votre vie professionnelle, c’est que vous arrivez peu à peu au bout du bout !
Les gens pensent que vous fuyez. Les deux petits mots “Afrique” et “sans limite de temps” les font vriller. Essayez, dites à quelqu’un : “je vais partir en Afrique, j’ai besoin de me ressourcer, je pars sans limite de temps”. Puis, à quelqu’un d’autre : “je vais partir à Vienne, j’ai besoin de me ressourcer, je ne sais pas quand je reviendrais” et si le cœur vous en dit : “je vais aller faire une retraite à Katmandou jusqu’à ce que j’aille mieux”.
Comparez les réactions.
Cela vous fascine de voir que chaque interlocuteur projette ses propres peurs, ses valeurs et son jugement sur ce que vous lui dites. Car au final, votre message, les trois fois, c’est que vous êtes à bout et que vous devez prendre un peu de temps pour vous.
Il n’y a pas de notion de fuite, ni d’aveu de faiblesse, encore moins de désespoir.
Il y a forcément un petit côté “allez tous vous faire foutre”, mais cela, vos interlocuteurs ne le voient pas immédiatement. Ce n’est d’ailleurs pas agressif, mais défensif. Vous ne partez pas pour ennuyer qui que ce soit, mais parce que vous ressentez ce besoin irrépressible de vous retrouver face à vous-même.
Il y a des moments de vie où vous devez arrêter le temps, le prendre, le tordre et le remettre en rythme. Vous êtes arrivé à un de ces moments-là. Si vous écoutez, peut-être parviendrez-vous à vous en relever. Vous êtes assez persuadé que ceux qui développent de grave maladie à ces moments sont souvent ceux qui se sont obstinés à ne pas prendre ce temps-là.
Oh ! Vous ne croyez pas vraiment à ce genre de croyance, mais parfois elles vous interpellent.
Ce que vous allez entreprendre demande beaucoup de courage. C’est l’opposé d’une fuite.
Accepter de se retrouver seul, de vivre sans argent, dans une tente, sans amis, sans contact. Accepter de ne pas voir vos enfants alors qu’ils vous manquent. Accepter de se couper de celle qu’on aime.
Vous prenez le temps de faire mentalement ce dessin, vous savez, avec à droite les choses bien, vos bonheurs et à gauche vos malheurs. Vous constatez rapidement que de toute manière, rester ici, c’est être loin de vos enfants, de vos amis, sans argent, sans contact.
Vous vous sentez déjà bien seul dans votre vie. Vivre cette solitude en Afrique n’est pas vraiment plus difficile que de la vivre en Suisse.
Parce que soyons sérieux, si vous restez, vous devrez vivre sous les ponts. Un SDF au sein de son propre pays. Personne ne vous aidera. En tant que chef d’entreprise, bien qu’ayant cotisé les charges sociales, vous n’avez droit à rien, ni au chômage, ni à l’aide de l’état, et cela signifierait fermer vos entreprises qui sont rentables. Ce serait absurde.
Autant trouver le moyen de les faire croître sans les péjorer.
Quand le monde s’arrête de tourner, votre monde à vous, vous remettez très vite en question ce que vous êtes.
Vous vous demandez forcément quelle est votre part de responsabilité dans tous ces procès, dans l’agressivité inhumaine que votre ex-femme met à vous tuer, dans la perte de crédibilité que vous font subir vos partenaires.
Vous repensez à ce cercle vicieux : quelqu’un vous approche, il veut s’associer à vos valeurs. Vous l’acceptez dans votre cercle. Il est jeune, naïf et souvent inexpérimenté. Alors vous vous attachez à lui, vous l’aider, mais surtout, vous lui apprenez. Il grandit. Il s’enorgueillit. Vous le respectez pour ce qu’il est, mais aussi pour ce qu’il devient. Vous êtes bien conscient de n’être que l’instrument, celui qui grandit, c’est lui. Alors vient ce moment, relativement banal, où vos chemins se séparent. Ce n’est pas un moment malheureux, loin de là, bien au contraire, c’est un évènement agréable, que celui où une personne que vous estimez prend son envol pour de nouveaux projets. Mais cette personne ne l’entend pas ainsi. Cette personne que vous avez connue sans assurance, timide et perdue vous parle maintenant de tribunal, de vengeance et de trahison. Il a bien grandi, ce quelqu’un.
Il est juste vexé que vos chemins se séparent.
Vous n’en pouvez plus de ces gens.
Vous êtes persuadé que c’est parce que vous avez pris le temps de l’aider qu’elle se permet de vous harceler. Vous constatez qu’autour de vous, tous les autres, ceux qui exploitent, ce qui avilissent ou esclavagisent leurs employés ne sont jamais inquiétés par ce genre de problème.
Vous regrettez votre gentillesse, votre patience et votre sympathie.
Durant vos années d’armée, vous avez appris qu’on doit d’abord aimer son prochain pour pouvoir exiger de lui le mieux. Il semble que cette réalité soit une réalité plutôt militaire. Qu’aimer son prochain, c’est valable lorsque vous vous tenez les coudes sur le champ de bataille alors qu’une des issues possibles, c’est de mourir.
Mais dans l’arène de tous les jours, les gens savent qu’ils ne risquent rien. Alors ils se permettent tout.
Il faut absolument que la spirale cesse.
A force de broyer du noir, vous vous salissez.
Vous êtes le maître de votre destin, et c’est bien ce qui nécessite d’avoir un plan, non pas un plan de fuite, mais un plan qui sera comme une réplique aux bien-pensants.
C’est pour cela que vous usez de temps.
Pour que demain existe !
Vous ne savez pas si ce sont les sept vaccins d’hier ou la charge de prophylaxie contre la malaria prise ce matin, mais après avoir rédigé votre texte sur l’AVC, vous avez fait une sorte d’hypoglycémie qui vous a couché pour de bon. Vous avez dormi plus de 24 heures. Un mal de tête ravageur. C’est lorsque vous tombez malade dans la nature que vous vous rappelez le bien d’avoir un matelas, de l’électricité ou de l’eau chaude.
Cela fait partie de vos peurs : tomber malade en Afrique.
Vous en étiez au plan pour consolider vos entreprises !