28. Camping sous une cascade

28. Camping sous une cascade

Dimanche, Janvier 12, 2025 [ROMAN]

Chapitre 28 IOVMEDR

Vous laissez la prof de danse derrière vous.

Vous êtes propre, Lily aussi, vous êtes reposé.

Il est temps de reprendre la route.

C’est incroyable, ce rythme de voyage. Des séquences de roulage dures et intenses suivies de pauses réparatrices avec bières et océan si possible. Vous kiffez le moment. Votre tête d’Européen vous pousse à planifier, programmer, agender, mais vous voyez bien que cela ne sert à rien. Votre corps est assez adulte pour vous faire part de ses besoins. Parfois, vous devez reprendre la route, comme un drogué qui cherche sa dose. D’autres fois, vous prolongez le séjour, vous sentez que votre corps ou votre esprit n’est pas encore prêt.

La Guinée est un pays particulier. À la fois pauvre, mais fier. Il s’enorgueillit de ce qu’il est, il manque néanmoins de tant d’infrastructures. Cette idée par exemple de ne donner une carte sim de téléphone qu’aux résidents !

Quelle drôle d’idée.

Vous avez passé du temps dans ce pays, entre cette villa sans électricité à Koumbia, à côté du distributeur de billet de Boké ou dans ce camping au bord de l’eau. La population est sympathique, ouverte et aidante; moins curieuse que d’autres populations déjà croisées, mais les seules personnes qui vous mettent terriblement mal à l’aise dans le pays, ce sont les policiers. Il y a plusieurs check-point le long de votre route. Contrairement à d’autres pays, en Guinée vous êtes sans arrêt arrêté. Vous sentez bien que c’est parce que vous étonnez ces policiers: ils ont envie de vous parler, d’échanger avec vous. Ils vous demandent sans cesse la carte grise de Lily, mais il vous semble que c’est surtout pour voir le nombre de chevaux et la cylindrée du véhicule.

Plusieurs fois, le policier prend votre passeport et la carte grise du véhicule puis disparaît à quelques mètres, s’absentant plusieurs minutes. Ce sont de longues minutes pour voir réapparaître vos documents, essentiels à la suite de votre voyage. Vous détestez ce sentiment !

Vous savez pourtant qu’à part cette sensation étrange, il ne s’est finalement rien passé.

À force de vous diriger vers le sud, vous arrivez à proximité de Conakry, la capitale de la Guinée. Cette ville, tout le monde en parle. Elle est à la fois le joyau de la Guinée, le symbole de la droiture et de l’organisation du pays, dont la qualité de la route qui augmente à mesure que vous vous en rapprochez en est le témoin.

Vous n’avez pas forcément envie d’y pénétrer profondément. Y passer vous suffit. D’ailleurs, les petits kilomètres parcourus vous donnent une grandiose image du chaos qui y règne. Certains voyageurs profitent de la capitale pour y régler quelques détails administratifs, comme certains visas dans des ambassades, mais de votre côté, vous avez plutôt envie de vous poser entre la ville et la douane pour préparer votre prochain saut en direction de la Sierra Leone. De plus, les prix des hébergements à Conakry sont proprement indécents.

Vous atteignez le village de Coyah au milieu de l’après-midi. C’est à la fois un lodge, mais vous avez lu sur leur site qu’il est possible d’y poser votre tente pour une nuit, ce que vous confirme le jeune homme qui vous accueille.

Vous y déposer vos affaires, vous prenez le temps de monter la tente avant de parcourir ce lieu magique : une antichambre du paradis.

Des arbres partout, des palmiers, de la jungle. Au milieu coule une rivière à l’ondée calme, bordée de rochers lisses. Des tables sont installées sur son lit, on peut s’y restaurer, boire de la bière ou fumer la chicha.

À peine installé que vous demandez de pouvoir y restez une nuit supplémentaire. Vous vous y attarderez au final quatre nuits.

Filou était vraiment un beau salopard. Cette tenaille que vous aviez installé entre vous vous a à la fois sauvé la vie et mis dans une situation qui ferait de cette même vie un fardeau épouvantable.

En mai 2016, vous discutez avec votre fiduciaire qui trouve que la comptabilité 2015 n’est non seulement pas bonne, mais remplie de fautes. Il semblerait que les écritures soient mal passées. Vous en discutez avec Filou qui vous convint que le problème, c’est son instruction belge, que la comptabilité ne possède pas les mêmes procédures en Suisse. Alors vous lui offrez un cours de comptabilité dans une école prestigieuse suisse.

Mais la situation ne s’améliore pas. Filou vous explique que lui est directeur financier, que ce n’est pas vraiment son métier que d’entrer des écritures. Lui, son métier, c’est d’analyser les chiffres, d’en faire des projections, d’appuyer sur les boutons du succès d’une comptabilité déjà bien tenue. Alors vous engagez une secrétaire, employée de commerce qui maîtrise la comptabilité. Cette petite, que vous aimiez bien d’ailleurs, en fera les frais, puisque Filou, plutôt que de vous avouer ses faiblesses, culpabilise votre employée que vous finirez par licencier, persuadé de son incompétence.

En juin, vous en discutez avec votre partenaire, un institut financiers semi-étatique qui vous aide dans vos démarches d’entrepreneur. C’est d’ailleurs ce même institut qui vous a mis en contact avec cet investisseur belge. Ils prennent acte de vos questionnements, mais vous sentez bien que ce n’est pas à eux de porter un jugement sur vos relations à vous.

Ce qui vous a étonné, c’est que Filou, -vous l’avez découvert dans votre drive d’entreprise,- s’est rédigé un contrat de travail, sans vous le dire. Vous vous en souciez auprès de lui :

- Tu sais, je t’en avais parlé, c’est un document qui m’est nécessaire pour demander la nationalité suisse, mais bien entendu, tu n’es pas obligé de me payer.

Dans votre tête, cela va très vite.

Et s’il réclamait, même après-coup, ce montant de salaires impayés ? Que faire s’il mettait ce contrat en avant ? Et si l’entente devait se détériorer?

Sur un coup de tête vous décidez d’annuler ce contrat, mais plutôt que de le déchirer, vous faite un document que vous appelez “annulation du contrat de travail” que vous signez et que vous donnez à Filou, en main propre et par mail.

S’il veut frauder la Confédération en montrant tout de même son contrat dans sa demande de nationalisation, vous ne pouvez pas l’en empêcher, mais au moins vous avez un document qui prouve que ce n’est pas vrai et jamais il ne pourra le faire valoir.

Il semble perturbé, mais pas vous en tenir rigueur.

Nous sommes en été, la situation de l’entreprise est calme. Cette année, vous préparez Essen, le plus grand salon du jeu du monde, avec une nouveauté, Sabbat Magica, un jeu de placement d’ouvriers auquel vous croyez beaucoup.

Financièrement c’est compliqué, la société manque de liquidité, les délais de production doivent absolument être respectés car vous avez déjà investi beaucoup d’argent sur le salon à venir, un investissement à perte si d’aventure vous deviez vous présenter là-bas sans votre nouveau produit.

Vous jonglez un peu avec les salaires, les loyers, Filou vous dit lors d’une réunion à distance que tout a été payé, qu’il ne faut pas vous inquiéter.

C’est son côté Guinéen !

Rien ne vous inquiète plus qu’un policier guinéen qui vous dit de ne pas vous inquiéter.

Il en allait de même avec Filou.

Mais avec lui, vous auriez dû vous inquiéter.

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