27. La prof de danse

27. La prof de danse

Vendredi, Janvier 10, 2025 [ROMAN]

Chapitre 27 IOVMEDR

Vous vous levez tôt.

Les bruits de la ville.

Une dame semble s’occuper de la station essence. Quand elle vous voit debout, elle vous engueule. C’est trop tôt le matin, vous ne comprenez rien.

En fait, ce que vous avez pris pour de l’agressivité, c’est juste le ton qu’utilise une femme guinéenne emplie de confiance et qui tente de vous rassurer : elle va vous aider.

Dans l’intervalle, le distributeur de billets semble fonctionner à nouveau. Vous vous dites que c’est le moment ou jamais de retirer un peu d’argent, au pire, il vous mangera une nouvelle fois votre carte, mais pas d’inquiétude puisque le monsieur va arriver.

Votre premier problème est réglé : vous avez du cash sur vous. Le distributeur vous a rendu votre carte, cette fois-ci. Vous en profitez pour acheter à boire et à manger au shop de la station service. Vous faites le plein de Lily. Vous attendez.

Le femme a été d’une efficacité redoutable, puisque avant 11 heures, un homme vient. Il explique en montrant sa jambe qu’il avait trop mal hier pour faire le déplacement.

Vous vous contenez.

Vous avez envie de lui crier que cela fait 17 heures que vous attendez, que c’est de l’inconscience de laisser un touriste sans argent dans une ville de Guinée la nuit, vous avez envie de lui parler de valeurs, comme la responsabilité, le devoir d’aider son prochain et l’inconscience regrettable de son égoïsme qui témoigne de son manque de professionnalisme.

Vous avez envie de lui crier tout cela à la figure, mais vous vous contenez.

Vous vous souvenez que l’Afrique n’a pas à se mettre à votre diapason. Mais c’est à vous de faire le pas. Souvenez-vous de la Gambie : modifier l’angle de vue !

Finalement, il ne vous est rien arrivé. Le seul vrai inconfort, c’est que tout cela aura pris 17 heures. Mais au-delà de ce problème de durée, personne ne vous a agressé, vous avez pu manger, dormir et vous ne vous êtes même pas senti en insécurité.

“On est ensemble !”

Vous reprenez votre carte, vous chevauchez votre moto et vous taillez la route. Il est temps de rejoindre ce camping idyllique au bord de l’océan.

La Guinée, une fois sur le tarmac, est agréable à rouler. En effet, plus vous approchez de la capitale et plus la route est belle. Il y a parfois quelques trous; les passages sur les ponts sont souvent des rétrécissements de voies, mais rien à voir avec les deux derniers jours de piste.

C’est fou comme ces deux jours vous ont angoissé. Vous en êtes à espérer que le camping n’exige pas de traverser de la piste. Comme un réflexe pavlovien, étrange.

Vous arrivez en début d’après-midi dans ce village de pêcheurs au large de Conakry. Vous êtes reçu par un couple de français : elle est professeur de danse africaine, il est mécano et homme à tout faire. Ils ont acheté cette propriété il y a 20 ans. Vous pouvez y poser vos affaires pour un temps. Ce n’est vraiment pas cher. Ils vous proposent de partager leur repas, contre payement, bien entendu, mais vous avez l’impression d’être venu voir la famille.

Ils sont rentrés en France le temps de la saison des pluies. Ils viennent de revenir en Guinée. C’est un peu l’occasion pour tous les alentours de venir les saluer. Il y en a du passage dans ce camping : les voisins, le chef du village de pêcheurs, le commandant de la police, les tenanciers d’un autre camping un peu plus loin…

Vous discutez avec ces gens. Une vraie impression d’être chez mémé. Le policier vous explique que la criminalité dont il s’occupe, c’est surtout les débordements dus au port de pêche. C’est le quatrième port le plus important du pays et bien que ce soit tout petit, il y a pas mal d’étrangers qui tentent de venir s’accaparer les boulots des Guinéens. En particulier des pêcheurs qui viennent de Sierra Leone. Ils pêchent. Parfois ils gagnent beaucoup d’argent. Alors ils le dépensent, ils font la fête. Des femmes se prostituent, non pas contre de l’argent, mais dans le but d’être bien placées pour obtenir les plus beaux poissons le lendemain, à la criée. Cela agace les hommes du village. C’est la rixe, les jalousies, des bagarre, du bruit.

Vous buvez votre bière. C’est partout pareil finalement. Il suffit de mettre dans un lopin de terre le travail, de l’argent, un soupçon de sexe et un zeste d’humanité, et c’est la guerre.

Pendant votre discussion, plusieurs personnes viennent transmettre leurs condoléances au policier qui les accepte avec la larme à l’œil. Des condoléances pour son épouse et d’autres pour son fils.

L’homme devant vous a juste 30 ans. Vous ne voulez pas commettre d’impair, donc vous vous taisez. Mais une fois qu’il est parti, vous prenez le temps de discuter avec Ginette, la prof de danse. Elle vous explique que ce sont deux décès survenus rapidement et très proches l’un de l’autre. Le fils avait un an quand il est parti. En fait, presque juste après sa naissance, le petit a attrapé la malaria. Ce qui n’est pas bon sous ces latitudes. Il était condamné à mort.

Ginette a usé de ses relations pour trouver un médicament relativement cher qu’elle a fait venir pour sauver le petit. Et il a été sauvé.

La mère, trop heureuse, décida d’amener son fils à ses parents qu’elle n’avait plus revus depuis longtemps, une tribu au cœur de la jungle, là où les risques sont grands. Cela a créé un conflit avec son mari, mais la femme usa de tout son caractère pour aller voir sa famille. Le petit attrapa la malaria une fois de trop et il ne revint jamais dans les bras de son papa.

Un père qui, si on en croit la rumeur, en a beaucoup voulu à son épouse.

Un soir, pendant le repas, elle sentit qu’elle avait mal au ventre. Elle s’excusa auprès de la tablée et alla se coucher. Elle ne se releva pas non plus. Elle venait d’avoir 30 ans.

C’est étrange, raconté comme cela.

La vie semble n’avoir pas d’épaisseur.

- Tu sais, c’est comme ça ici. Les gens croient très fermement à une destinée qui les dépasse. Cela les aide à accepter l’innommable. C’est la maladie dont on meurt le plus en Guinée, le mal de ventre. Tous les jours il y a quelqu’un qui va se coucher parce qu’il a mal au ventre. Un repos éternel, complète Ginette.

Vous terminez votre assiette de poisson. Elle cuisine divinement bien, la prof de danse.

Il y a deux frères, des locaux, qui s’occupent de travaux dans la propriété. Ils vous proposent de laver Lily et quelques habits.

Vous acceptez.

Vous les regardez travailler alors que la nuit tombe.

Cela vous fait un bien fou de vous reposer enfin.

Heureusement, vous n’avez pas mal au ventre.

Philipp
Ecrit
Lundi, Janvier 13, 2025
Bonjour Pierre-Yves, malheureusement, les morts par "maux de ventre" est monnaie courante en Afrique. Cependant, pour ta gouverne, un décès suite à un mal de ventre n'est jamais "très naturel". Je parle par expérience, je suis moitié africain et mon papa nous avait bien protégé et initié à ce qui pouvait nous arriver. Lorsqu'il est parti et que j'ai dû rapporter les causes de son décès (en tant qu'aîné, il était de mon devoir d'en faire le récit), j'ai complètement oublié que je n'aurai pas dû parler du ventre de mon papa qui s'était "blindé", en terme médical, on parle d'un "blindage péritonéale". Donc, ce que tu me relates à propos de cette femme qui se couche et ne se lève pas le lendemain matin, ne me surprends pas. Prends bien soin de toi, la confiance c'est bien la prudence est de rigueur et mère de sûreté. Que celui qui veille sur toi, ou cette force invisible qui te protège, continuent de prendre soin de toi.
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