
Chapitre 26 IOVMEDR
Debout sur votre monture, vous tirez tout ce que vous pouvez sur vos bras pour lui faire redresser le nez. Vous avez l’impression de voler, mais votre moto pique du nez et c’est la roue avant qui touche l’autre côté du précipice en premier. Alors que tout semble perdu, il semble que vous ayez assez de vitesse pour que la roue avant passe l’obstacle rapidement, entraînant après elle la roue arrière qui retrouve de l’adhérence et projette votre moto vers l’avant.
Vous perdez quelque peu l’équilibre, mais vous ne tombez pas. Vous parcourez quelques mètres en freinant gentiment. Vous n’en revenez pas.
Vous ne comprenez pas.
Lily a volé.
C’est à se demander si Clochette ne lui a pas mis un peu de poudre magique juste avant le saut.
Vous tremblez.
Vous décompensez.
Vous avez une fois encore cette angoisse qui vous rappelle que tout aurait pu s’arrêter ici, maintenant.
Vous souriez en vous imaginant assis au bord de la route, à attendre des secours.
Le choc a été terrible. Vous ressentez encore le bruit de la roue avant qui cogne contre le bord du trou. Comme un marteau sur une enclume, avec votre dos qui ramasse le gros de la traction.
Vous roulez, pas très vite, mais vous ne vous arrêtez pas. Comme si s’arrêter, c’était prendre conscience des dégâts. Alors vous poursuivez votre route comme si de rien n’était, afin de ne pas conjurer le mauvais sort.
Lily a l’air bien. La direction semble être normale, les pneus pas dégonflés, l’axe pas touché. Il vous reste environ 15 kilomètres avant d’arriver à Boké. Vous vous arrêtez pour boire un peu d’eau. Vous prenez le temps de regarder Lily. Vous lui faites une caresse pour lui dire combien vous avez apprécié ce moment, même si vous savez que c’est ridicule, que Lily n’est qu’une mécanique, vous vous sentez redevable.
En faisant le tour de votre monture, vous constatez que le sac des outils, qui se trouvait devant à droite, a disparu. Sûrement arraché par le choc. Vous ne vous en êtes même pas rendu compte. Pourtant régulièrement vous parcourez des yeux tous les sacs afin de vous assurer que vous n’avez rien perdu, mais sous le choc, vous n’avez rien vu.
Inutile de faire demi-tour, pas cette route-là, pas maintenant.
Dans le désert, le sac de couchage, pourquoi pas, mais aujourd’hui c’est différent.
Vous continuez.
Ces 15 derniers kilomètres sont terribles. La terre a fait place à du gravier épais. C’est inroulable là-dedans. Vous restez concentré, patient et cela passe, tranquillement.
Fifi vous avait prévenu à Zinguichor !
Boké est une petite ville sympathique. La vie y est animée. Vous retrouvez enfin de l’asphalte. Il y a un hôpital, des bâtiments administratifs et même une banque. Vous allez enfin pouvoir prendre un peu de liquide.
En fait non, il y a un problème de connexion.
Le banquier vous indique une station service, un peu plus loin, il y a un bancomat à l’intérieur. En effet, même deux distributeurs sous un auvent protégé des regards.
Vous insérez votre carte, vous faites votre code, vous placez un montant pour le retrait, tout semble bien se passer quand tout à coup, l’écran se met hors service et s’éteint.
Vous n’avez pas reçu l’argent !
Votre carte est toujours dans l’appareil.
Il est 16 heures, vous êtes en Guinée sans essence, sans argent et sans votre mastercard.
Vous demandez de l’aide à la station essence.
Un homme va venir…
…peut-être…
…plutôt après 17 heures…
…il ne répond pas, il raccroche…
Vous vous asseyez près du bancomat. Vous fumez un cigare. Vous vous mettez au rythme africain. Vous voyez un petit bout de gazon à côté du distributeur, vous pourrez dormir là en cas de nécessité. Un bancomat, c’est un endroit qu’on surveille. Il ne pourra rien vous arriver.
Un moment donné, un policier vient vous voir :
- Ne vous faites aucun souci, je vais de ce pas aller chercher quelqu’un qui va venir vous aider !
Rassuré par ces belles paroles, vous attendez, confiant, mais personne ne viendra. Du moins pas ce soir. Vous avez plusieurs cartes sur vous, une maestro, une visa et une mastercard. On n’est jamais trop prudent. C’est la dernière qui est dans l’appareil. Votre expérience de l’Afrique vous conforte dans l’idée qu’il est dangereux de se passer d’une visa ou d’une mastercard. La maestro ne sert presque à rien, mais les deux autres, dépend du pays, c’est l’une ou l’autre. Il serait donc plus prudent de la récupérer, même si dans les faits, il vous est facile de la bloquer et d’en commander une nouvelle.
Enfin…
Une nouvelle carte qui arrivera à votre domicile que votre ex-épouse refusera de prendre et donc vous pouvez mettre une croix sur cette idée.
Pas de bras, pas de chocolat !
Pas de domicile, pas de carte de crédit.
Vous avez envie d’ajouter : femme pas gentille, pas de place au paradis.
À 19 heures la nuit tombe. Personne n’est venu.
Vous trouvez de quoi manger. Vous vous installez pour dormir à la belle étoile.
Vous vous laissez jusqu’à demain, 14 heures, avant de chercher une autre solution.
Pour le moment, vous y croyez, que tout est possible en Afrique !

