22. Un lit dans la discothèque

22. Un lit dans la discothèque

Dimanche, Décembre 29, 2024 [ROMAN]

Chapitre 22 IOVMEDR

Vous souhaitiez vous reposer, rester plusieurs nuits dans cette ville de Guinée-Bissau, mais vous avez passé une nuit terrible.

Pour commencer, les banques de Bissau ne fonctionnaient pas. Aucun distributeur n’a accepté de vous donner de l’argent. Une chance que la monnaie du pays soit le CFA, car c’est la même monnaie et il vous reste encore un peu de liquidité. Au moins pour passer une nuit.

Les distributeurs de billets en Afrique sont une denrée rare.

Lorsque vous prenez cette chambre dans cet hôtel de Bafata, vous avez vu qu’il y avait un bancomat quelques kilomètres avant d’arriver. Mais la nuit commençait à tomber. Vous deviez à tous prix rejoindre l’hôtel. Vous vous promettez de revenir demain.

Vous ne le ferez pas.

Les chambres sont plutôt chères pour le service qu’elles offrent : pas d’électricité, pas de wifi, pas d’eau dans les chambres. L’équivalent de 50 CHF pour dormir sur un matelas. Il fait chaud.

A l’extérieur, une piscine dont l’opacité de l’eau ne permet pas d’en distinguer la profondeur. C’est la seule eau du coin, alors quitte à être sale, vous vous décidez pour un plongeon rafraîchissant.

Lily est dans la cour intérieure. Vous demandez si elle ne risque rien, ce que l’homme qui vous a accueilli vous confirme. Vous déchargez votre moto seulement partiellement, laissant en place votre matériel de camping, sac de couchage, tente et cuisine, vous n’en aurez pas besoin.

Il y a passablement de mouvements autour de la piscine, des jeunes qui se tiennent en groupe. D’autres personnes installent une sono géante. Ce qui parait absurde dans un pays où l’électricité est rare. Vous pensez à un anniversaire.

Plus tard, vous irez dans ce qui fait office de restaurant, manger un “poulet/riz”. Vous vous étonnez de n’y voir personne. Ce n’est donc pas un anniversaire.

La nuit est sombre, vous décidez d’aller vous coucher.

Vers 23 heures, la musique pénètre dans votre chambre. Vous avez l’impression que la sono est de l’autre côté de votre porte, mais elle est bien installée autour de la piscine, à une quarantaine de mètres de votre emplacement. Vous êtes de plus au premier étage du bâtiment. Vous regardez votre téléphone portable qui contient une application capable de mesurer le son : 137 décibels dans votre lit.

Vous essayez de dormir.

Entre veille et sommeil, à 3 heures du matin vous sentez une angoisse monter. Vous regardez à travers la porte d’entrée de votre chambre. Les chambres, à ce premier étage, sont organisées en cercle autour d’un salon qui fait office de grand hall d’entrée. Sur le fauteuil principal est assis un grand black qui échange des billets avec un autre homme assis en face de lui. Sur l’accoudoir du fauteuil, comme un trophée, une jeune femme très maquillée, mini-jupe et chemise transparente, est appuyée, une main sur l’épaule de son homme, celui qui compte l’argent. Plus loin, devant l’escalier qui permet de rejoindre le rez, deux hommes armés qui regardent en-bas.

Vous êtes témoin de tout ceci car en Guinée-Bissau, les portes sont souvent vitrées, mais avec une sorte de plastique fond de teint qui vous permet de regarder à l’extérieur sans être vu.

Cette scène vous rappelle les films comme Trafic ou les Affranchis.

Vous souriez en pensant que l’électricité, dans cet hôtel, a l’air d’être disponible plutôt la nuit.

Vous vous souciez de Lily.

Vous hésitez entre sortir à la vue de tous ou rester planqué, mais votre angoisse est trop forte. Vous décidez de vous habiller et d’aller faire un tour. Au moment où vous vous apprêtez à sortir, les gars du hall quittent le salon. Vous sortez discrètement.

Dehors, la musique est insupportable. Elle vous transperce les tympans. Vous descendez. Il y a une centaine de personnes en train de danser et boire. Lily est au milieu de tous ces gens. Elle a l’air de ne pas souffrir de la musique. Si les gens l’utilisent comme accoudoir, ils la respectent et toutes les affaires sont exactement à l’endroit où vous les avez laissées.

Vous remontez vous coucher.

A l’aurore, vous vous habillez. Vous empaquetez vos affaires et vous décidez de passer la frontière avec la Guinée aujourd’hui même.

Vous avez peu dormi. Vous êtes poussé par une force, un ras-le-bol qui vous fait oublier votre problème de liquidité.

Vous reprenez la route !

C’est impressionnant pour un pays comme la Guinée-Bissau d’offrir tant de paradoxes. Entre la pauvreté du pays, la gentillesse des gens et le passé colonial portugais, vous êtes abasourdi.

Ils n’ont que peu d’électricité, mais ils l’utilisent pour générer du bruit. Ils ont un réseau compliqué, mais tout le monde a un téléphone portable.

Vous ne leur jetez pas la pierre. Vous ne les jugez pas. Vous soulignez juste les paradoxes. Cela vous fait penser à la Suisse, pays de paradoxes lui aussi : c’est propre, c’est rangé, c’est organisé, mais quand on gratte un peu, nos politiciens sont relativement incapables, peu instruits et souvent en politique car ils ont échoué partout ailleurs. Les politiques croient que c’est leurs décisions qui font de la Suisse ce qu’elle est, mais tout le monde sait que c’est grâce à l’appui des innombrables PME, des sociétés privées et des expertises intellectuelles qui entourent ces politiciens que la Suisse est souvent gagnante.

Le COVID a démontré toute l’absurdité de nos politiques qui ont vendu leur âme au diable pour un peu de notoriété. Si on réfléchit bien, cette période a été la plus anti-démocratique vécue par la Suisse depuis longtemps. On a endoctriné les civils, utilisé les canaux d’informations à mauvais escient, promis des choses qui n’ont pas été tenues, renié les libertés fondamentales par des moyens plus que douteux.

Mais le peuple n’a rien dit.

Aujourd’hui, vous lisez que de plus en plus de commerces ferment définitivement, des restaurants aussi. Les gens pleurent sur les réseaux sociaux, mais aucun ne se demande pourquoi. Nul ne fait le lien avec cette part sombre de notre histoire récente.

L’histoire mettra en lumière ce qui s’est réellement passé. Et pour avoir été en contact très étroit avec certains conseillers fédéraux durant vos années militaires, vous avez un peu honte pour ceux qui ont géré la crise du COVID et qui s’enorgueillissent d’avoir fait du bon travail.

Les professionnels de la gestion de crise savent que c’était vraiment n’importe quoi.

Ces professionnels, vous en avez fait partie.

Vous avez même été chef du renseignement dans un exercice en 2012 qui planifiait ce genre de crise. Vous ne comprenez pas ce qui s’est passé pour qu’aucun des enseignements tirés ne soit appliqués.

Vous approchez Foulamory.

C’est le passage de frontière par bac entre la Guinée-Bissau et la Guinée.

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