18. Camping sauvage non-désiré en Gambie

18. Camping sauvage non-désiré en Gambie

Vendredi, Décembre 20, 2024 [ROMAN]

Chapitre 18 IOVMEDR

Vous cherchez désespérément votre camping. Vous voyez bien le point sur le GPS, mais impossible d’arriver jusque sur la plage. Entre la route en terre sur laquelle vous vous trouvez et la plage, il n’y a qu’une centaine de mètres, mais infranchissables.

Vous demandez votre chemin.

En faisant un détour par le nord d’un demi-kilomètre, vous arrivez sur la plage. Vous devez être à 200 mètres du camping, mais pas d’indication.

Un jeune homme se trouve à côté de vous.

Vous lui demandez votre chemin, il vous dit qu’il n’a jamais entendu parler de ce lieu, mais que vous pouvez sans autre planter votre tente dans ce complexe. Vous entendez de la musique, vous voyez des transats, vous devinez l’océan, vous croisez quelques touristes blancs.

Pourquoi pas, vous en avez votre claque de cette journée !

- Je peux planter ma tente ?

- Oui.

- Tu as du wifi ?

- Oui.

- Tu fais à manger ?

- Oui.

- Le prix ?

- 6’000 CFA pour 2 nuits (environ 6 EUR).

- D’accord.

Vous avez oublié de lui poser la vraie question : tu es un camping ?

Vous vous retrouvez à planter votre tente dans le jardin, vous vous étonnez de ne pas voir d’autres campeurs, mais on est en novembre.

La nuit, lorsque le bar ferme vers 23 heures, vous vous retrouvez tout seul, dans votre tente, avec des dizaines de locaux qui viennent utiliser les transats autour de vous, pour fumer, boire et danser dans la nuit.

Dans une autre vie, à un autre moment, peut-être auriez-vous trouvé cela sympathique, mais une intuition alimentée par votre “ami”, le jeune homme, instille en vous un sentiment de peur.

Ce jeune homme, Ismaël, ne cesse de se poser à côté de vous, il vous demande le prix de votre moto, combien elle vaut à la revente, il s’étonne que vous n’ayez pas de gros cadenas. Il vous dit qu’elle ne risque rien, mais vous sentez bien qu’il tente de se convaincre lui-même.

Il revient, tout le temps, s’asseoir près de vous.

Son histoire est pourtant attachante : il était un footballeur de talent. A 14 ans, il quitte sa famille et le pays pour se rendre dans une école au Qatar où il rêve de devenir une star du football. Il a le talent, il est sur la bonne voie, il envoie régulièrement de l’argent à sa famille tout en pratiquant son sport. Il rêve de stades plein, de succès et d’argent, lui qui vient de nulle part, du néant.

A 18 ans, c’est le drame. Lors d’un match, un tacle mal maîtrisé lui détruit cheville et tibia. Il ne s’en remettra jamais. Il est mis gentiment à la porte de son école de foot. Il n’a plus rien. Il se débrouillera pour rentrer en Gambie par ses propres moyens, traversant l’Afrique du Nord en auto-stop. En arrivant chez lui, il constate qu’il n’a plus rien. Parti pour un avenir radieux, ses voisins, amis et familles se sont partagés ses biens. Il dort sur la plage en attendant des jours meilleurs.

Aujourd’hui, il a 20 ans. Il travaille pour son cousin dans ce bar. Il rêve de devenir entrepreneur. Il veut avoir son bar à lui, sur la plage, un peu plus loin. Il a acheté le terrain, il a travaillé dur pour cela, mais il faut maintenant y forer un puit pour avoir de l’eau douce.

Il vous dépeint le bâtiment qui servira de bar, il vous en décris le décor, il vous projette l’étage au-dessus du bar qui accueillera 5 chambres. Il vous explique que les touristes seront contents chez lui, qu’ils auront du wifi, des prises autour des parasols pour recharger leur téléphone, des prix corrects et de la bière fraîche.

Il vous demande si vous pouvez l’aider. Vous êtes bien conscient qu’il vous demande de l’argent, mais vous lui dites que si cela se fait, vous en parlerez autour de vous, que ça l’aidera peut-être à avoir quelques clients.

C’est une bonne réponse. Il a l’air content.

Il s’installe entre vous un malaise grandissant. Vous sentez qu’il est partagé entre le désir de recevoir votre aide et celui de vous dépouiller de votre moto qu’il pourra revendre pour de l’argent. Vous devez malgré vous lui faire miroiter un avenir pour éviter le risque qu’il n’agisse contre vous.

Ce rapport de force vous horripile.

Un puit coûte 600 EUR.

Cette méthode, vous l’appelez la tenaille. Deux personnes qui “se tiennent par les couilles”. Dans le monde des affaires, c’est un processus que vous avez connu maintes fois. Vous vous êtes toujours bien débrouillé pour ne pas vous les faire arracher, mais l’expérience vous a expliqué avec douleur que ce n’est pas une situation enviable, mais désagréable.

On ne crée pas de relation saine par l’intermédiaire d’une tenaille, mais des rapports de forces qui finissent par exploser.

Avec Filou, le Belge qui avait investi dans votre entreprise, c’est exactement ce qui s’est passé. Il détenait l’argent, vous déteniez le savoir. Il vous donnait l’argent au compte goutte tandis que vous lui diffusiez le savoir par bribe.

Il a eu peur. Il vous a trahi. Vous avez tout perdu.

Vous y reviendrez, à cet odieux personnage qui est peut-être le premier à avoir mis un coup de pied dans votre monde des entreprises; votre premier grand procès, celui qui a commencé en 2016 et qui n’est toujours pas terminé.

En buvant votre jus de mangue, vous essayez d’imaginer votre vie si Filou n’était pas rentré dans votre vie.

Vous vous demandez s’il a été le déclencheur d’un tout, d’un mieux, comme un avertissement à vie, ou s’il est le début de la plupart de vos gros problèmes, s’il est responsable de ce qui vous arrive.

C’est certainement une question de point de vue, d’approche, d’angle.

Toujours est-il que vous avez tout perdu, que vous êtes là en Gambie. Que votre malaise est grand et que demain, si Dieu le veut, vous repartirez.

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