16. Le Sénégal

16. Le Sénégal

Vendredi, Décembre 13, 2024 [ROMAN]

Chapitre 16 IOVMEDR

Vous êtes là pour apprendre.

Et vous apprenez !

Jusqu’à présent, vous avez su dormir dans la saleté, établir des bivouacs, demander des visas et des services à des gens qui ne partageaient pas la même culture. Vous vous en êtes bien sorti.

Vous savez que “ne pas partager la même culture” ne veut pas dire “ne pas se comprendre”.

Ils marchandent, ils vous scrutent, ils parlent parfois dans une langue étrange, mais à la fin, nous sommes “tous ensemble” et lorsque vous présentez un problème simple, les gens autour de vous proposent une solution simple elle-aussi, dénuée d’attentes, sans mettre leur égo en avant.

Vous ne pouvez vous empêcher de faire le lien avec votre vie de tous les jours.

En Suisse, les gens commencent à prendre l’habitude de marchander. Vous leur proposez un prix, mais ils négocient, -en particuliers l’état-, quel rabais faites-vous s’ils viennent à 10, à 20, s’ils mangent… Ils vous demandent des prix en fonction de leur bonne attitude, prétendant qu’ils en auront une.

Ici, en Afrique, les gens marchandent car c’est une façon d’évaluer la valeur des choses, mais ils ont plus d’éthique et plus de respect pour votre travail, et par conséquent pour votre valeur à vous. Nos suisses aigris croient que faire baisser le prix d’une prestation est un signe de pouvoir, qu’ils vous “soumettent”.

Par exemple, autour de vous en Suisse, lorsque vous avez un problème, il y a toujours quelqu’un pour vous proposer une solution. Mais avez-vous déjà essayé de ne pas suivre le conseil de votre ami ? C’est alors que l’égo se met en avant : si vous ne suivez pas son conseil, c’est que vous l’estimez mauvais ? C’est un manque de confiance en votre ami ? Mais en fait, c’est l’amitié même qui est remise en jeu ?

Alors qu’ici ils ne s’en offusquent pas. Ils aident, à vous de voir si vous voulez saisir cette aide ou non.

Le Sénégal est un pays coloré, avec des gens relativement pauvres si on s’attache à leur maison et leurs infrastructures, mais si on gratte un peu, c’est un peuple souriant, qui respire en chantant et travaille en dansant.

C’est un peuple esthétiquement beau ! C’est fascinant de voir tous ces gens ressembler à un Davide de Michel-Ange mais en bois d’ébène.

Vous vous êtes d’abord arrêté deux nuits dans le nord du pays, juste après la frontière mauritanienne, histoire de retrouver le goût de la bière et du vin. Mais vous deviez rejoindre Dakar dans les 3 jours afin d’y faire signer votre carnet de passage pour l’importation de votre moto.

Vous vous êtes donc rapproché de la capitale, prenant racine pour un peu moins d’une semaine aux abords du lac Rose, sur la rive duquel vous plantiez votre tente.

Quelques jours de repos, car il fallait, hormis l’administratif, changer les pneus de Lily, lui offrir un service, un changement d’huile et de filtre à air après le désert. Vous en profitez aussi pour vous acheter quelques cigares. Enfin, vous aviez besoin de temps pour le montage des films et la mise en ligne des futurs textes.

Cela va vous faire du bien de vous poser un peu.

Le lac est paisible.

Dans l’après-midi, malgré la chaleur du jour, une brise marine vient vous décoiffer gentiment. La nourriture est bonne et la population locale très sympathique.

Pour revenir à ces européens qui font semblant d’être des africains, vous vous faisiez du souci pour votre passage en Gambie. Sur votre application dédiée aux voyageurs, ils prétendent que la douane est corrompue et qu’il vaut mieux l’éviter.

Après quelques politesses d’usage, vous décidez de confronter votre garagiste, qui a l’air très sympathique, avec cette théorie. Cela vous arrangerait bien de passer tout de même par cette frontière-là.

Avec sagesse, il vous explique que le Sénégal n’est plus corrompu depuis longtemps, mais que rien que d’entendre ce mot, il sait que cela vient d’européens. En fait, il n’y a qu’eux pour avoir ce fabuleux courage d’aller mettre ce genre de critique sur un site auquel les concernés n’ont pas accès. C’est un peu la même chose que les notes sur Google : des plateformes pour frustrés qui sous couvert de la distance se permettent d’exprimer des mensonges sous forme de raison.

- Cette douane n’est pas corrompue, vous a-t-il dit. Tu vois, toi, tu es toujours souriant, tu es humble et quand tu me parles, je sais que nous nous comprenons, que nous partageons la même vie, que nous respirons le même air. Tu n’auras jamais de problème en Afrique, car les africains aiment les types comme toi. Tu as l’air sympa.

Il vous regarde, comme pour attester visuellement de ce qu’il vient de dire.

- Ceux qui ont écrit cela sur ton application, ce sont juste des européens venus expliquer aux africains qu’ils savent tout, que leur système politique, économique et religieux est bien mieux que le nôtre. Ils sont venus au Sénégal “pour nous aider”. Ils sont imbus d’eux-mêmes, prétentieux et vaniteux. Les écouter pour nous, africains, c’est nous exposer à perdre un peu de notre énergie vitale. Alors pour le prix de les avoir supporté, nous leur demandons de payer plus que les autres. Les européens appellent cela de la corruption, nous appelons ça une forme d’éducation pour les cons.

Vous êtes subjugué par tant de sagesse.

Le bon sens est une chose relativement bien distribuée dans le monde entier. Vous êtes bien conscient que les “touristes européens fortunés” sont les pires ambassadeurs dans ces pays. Vous prenez conscience que leur problème n’est ni d’être touristes, ni européens, ni fortunés. Leur problème, c’est d’être égoïstement persuadé de détenir une vérité qu’ils veulent imposer à “l’étranger”. Ils manquent d’humilité.

Vous y repensez assis au bord de ce lac Rose.

Vous sirotez un jus d’ananas-mangue.

Vous vous demandez pourquoi certains préfèrent expliquer plutôt que comprendre.

Vous avancez bien dans votre formation accélérée sur la nature humaine.

Vous êtes là pour apprendre.

Et vous apprenez !

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