
Chapitre 13 IOVMEDR
13. Passage en Mauritanie
Épique est le mot.
Déjà les derniers 100 kilomètres pour rejoindre la douane côté Maroc vous a rappelé la maison. Ce sable que le vent poussait sur la route faisait comme des volutes de neige à 40 degrés. Vous avez très rapidement compris pourquoi les gens du désert portent en permanence un turban qui leur protège le visage.
Des kilomètres et des kilomètres, sans personne autour de vous. Quelques camions en sens inverse, mais sinon, vous étiez seul au monde.
Le passage de la frontière s’est bien passé. Vous vous êtes faufilé avec quatre motards espagnols qui partaient faire des pistes en Mauritanie. Vous avez profité de leur “fixeur” que vous avez tout de même payé 20 euros pour le service.
Un fixeur, c’est une personne de contact qui vous attend à chaque frontière africaine pour vous aider à remplir toutes les formalités douanières. Cela va de la présentation de votre passeport, de votre visa, de l’importation de votre véhicule, du changement de votre argent et de l’achat d’une carte sim pour votre téléphone.
En gros, vous restez assis en attendant que le fixeur ait fait son office. Vous montrez votre bouille quand c’est nécessaire. Parfois vous vous faites mener en bateau par un contact qui vous déleste de quelques euros, mais c’est le jeu.
Le côté Maroc s’est fait très rapidement, en moins de 20 minutes. Puis vous avez suivi le véhicule du fixeur sur les 4 kilomètres de zone franche, une zone où vous avez intérêt à bien suivre la route puisque c’est la zone la plus dense du monde en matière de mines anti-personnelles.
Avec vos pneus routes, vous ne faites pas le fier sur ce bout de chemin en terre en plein soleil, mais vous arrivez avec un peu de retard sur les autres à la douane mauritanienne.
Il vous faudra 2 heures pour la passer. C’est peut-être trop long, mais l’un des 4 espagnols avec qui vous vous êtes présenté a eu un problème de taille : la validité de son passeport était de moins de 6 mois et il a été refoulé à la frontière. Sa moto ayant déjà passé la douane, il a dû la laisser là et partir à pied le long de la zone franche pour tenter de trouver une solution avec la douane marocaine.
Vous pensez parfois à lui, même si vous n’avez pas eu de nouvelles depuis.
Cela vous surprend toujours de voir comme une situation peut dégénérer pour un détail, une bêtise, presque une insignifiance.
Votre vie estudiantine avait failli en pâtir.
A l’âge de 14 ans, au cycle d’orientation, vous aviez de la peine en orthographe. Ce qui faisait baisser drastiquement votre note de français. Vous vous étiez du team “matheux”, des logiques, des scientifiques. Vous étiez d’ailleurs inscrit dans ces branches au collège que vous étiez censé suivre dès la rentrée de septembre.
Mais en juin, drame sur votre tête : le directeur du cycle d’orientation prévient votre père que malheureusement, pas de possibilité de rejoindre le collège pour vous, puisque vous n’avez pas obtenu la moyenne de 4 dans les branches principales, le français étant seulement à 3,9.
Remontrance radicale à la maison, avec coups et blessures, mais il reste une solution pour satisfaire l’égo de votre père : se préparer à un examen d’entrée organisé par le collège de Sion.
Vous travaillerez tout l’été.
Votre père s’est attaché les services d’un ami, un professeur de français qui vous prépare à cet examen. Du lundi au dimanche, sans pause, pendant plus de 40 jours. Vous allez apprendre de la poésie, recopier des livres entiers, faire tous les exercices possibles et inimaginables en matière grammaticale, allant même jusqu’à apprendre par cœur des chapitres entier du Grévisse, la bible en matière de langue orthographique française.
Vous vous dites que si vous aviez travaillé un peu plus dur à l’école, vous n’en seriez pas là. Vous culpabilisez. Mais allez, cela va passer, vous allez le réussir, cet examen.
A deux semaines de l’échéance, vous vous renseignez : où aura donc lieu ce fameux examen ? Est-ce que vous aurez le résultat tout de suite ? Quand commencerez-vous le collège ? Quel est le plan B ?
C’était une erreur !
Il n’y a pas d’examen pour entrer au collège de Sion, il vous suffit d’avoir la moyenne au premier groupe pour y aller, comme on vous l’avait dit.
Le directeur s’excuse, il a sur-réagit. La règle qu’il a évoquée n’entrera en force que l’année suivante, lorsqu’on introduira les niveaux au cycle.
Il est désolé.
Pas tant que vous.
Une poignée de main du père pour vous féliciter pour votre admission.
La petite phrase assassine : “au moins, tu n’auras plus de retard en grammaire et orthographe au collège”.
La vie continue.
Ces images hanteront vos premiers kilomètres dans le désert de dunes du Sahara.
Décidément, les gens autour de vous ont toujours pensé qu’ils pouvaient vous manipuler et vous faire subir tout et son contraire, sans que jamais vous ne vous révoltiez. Vous avez pourtant essayé, mais les coups et les humiliations étaient des conséquences trop lourdes pour le petit garçon que vous étiez. Alors vous avez suivi le mouvement.
Il est facile avec le recul de se dire que vous auriez dû refuser, faire autrement, réagir. Mais quand vous êtes dans cette vision tunnel, impossible d’avoir le recul nécessaire à une telle prise de conscience.
Un jour, pourtant, vous avez compris que ce que vous viviez n’était pas normal.
C’était le soir de Noël, vous aviez douze ans.Votre grand-mère avait offert à son fils (votre père) un livre intitulé “comment éduquer son enfant sans le battre”.
Ce voyage est comme un grand “fuck” destiné à ceux qui ont voulu vous empêcher de rêver.
Ce désert devant vous est comme une métaphore de l’amour que vous leur portez !
Un grand néant !