11. De la frénésie à l'apopléxie

11. De la frénésie à l'apopléxie

Mercredi, Novembre 27, 2024 [ROMAN]

Chapitre 11 IOVMEDR

11. De la frénésie à l’apoplexie

C’est un titre un peu accrocheur. Vous vous demandez si vous avez eu raison, mais bon.

Ce n’est d’ailleurs pas si faux.

En arrivant à Tanger, vous ne savez pas si c’est le fait d’être entré sur le continent africain, ou simplement d’avoir quitté le continent européen, mais vous avez été pris d’une euphorie rare. Vous étiez heureux, comme pour la première fois depuis si longtemps.

Plus rien n’existait, plus personne ne pouvait vous faire revenir, vous aviez une sorte de doigt d’honneur affiché en permanence sur votre tête.

Gonflé à bloc, vous avez poursuivi la route frénétiquement, sans vous arrêter, alignant les paysages exotiques, les villes et les routes sans vous demander autre chose que l’envie de rejoindre au plus vite le Sénégal, votre objectif intermédiaire, le deuxième, de ce voyage.

Vous avez senti des ailes pousser dans votre dos. Vous avez campé, vous avez acheté à manger à un boucher sur la route, c’était un rythme effréné.

Vous vous étiez donné un objectif de 250 km / jour, mais vous en franchissiez 500. Arrivé à Agadir, vous décidez de faire une pause raisonnable : vous profiterez de ce temps pour faire votre lessive, monter votre film sur Lily et vous renseigner sur ce fameux passage de la Mauritanie.

Votre jour off, c’est le coup d’assommoir : mal à la tête, mal à tous les muscles de votre corps, un besoin de dormir, de vous reposer, de vous ressourcer. C’est comme si tout à coup, vous compensiez cette frénésie par un appel à l’alerte de votre corps tout entier.

Ce n’est pas grave, vous n’êtes pas à un jour près. Vous décidez de prolonger votre séjour.

D’ailleurs, le réceptionniste de l’hôtel vous a extorqué un sourire :

- Bonjour, c’est possible de prolonger mon séjour d’une nuit ?

- Oui Monsieur, pas de problème.

- …

Il vous regarde en souriant.

- C’est tout ?

Il vous regarde en souriant.

- Vous souhaitez que je paie maintenant ?

- Si vous voulez être sûr d’avoir la chambre ce soir, ce serait mieux, Monsieur.

- D’accord, alors voici ma carte de crédit.

- Cela fait 30 euros.

- 30 euros ? Mais c’était 23 hier ?

- Oui, les prix ont augmenté durant la nuit.

- Ah ben zut, bon ben d’accord.

Il n’y a pas de petit profit.

Vous avez trouvé un endroit, un bar, au centre ville, le seul qui vende de l’alcool. Vous n’êtes pas très porté sur l’alcool d’habitude, mais vous ne comprenez pas, rien que le fait que ce soit interdit vous donne des envies de boire. Ce besoin de liberté, vous l’avez depuis tout petit. Vous ne comprenez pas trop le mécanisme, d’autant que ces souvenirs sont absents, mais vous pensez que c’est à cause de vos pieds.

En effet, vous êtes nés avec deux pieds bots. A l’envers. Tournés vers l’intérieur. A 9h15 si on reprend l’image des pieds des danseuses à 10 heures 10. Mais les vôtres se regardaient. Pouce contre pouce.

Pour vous soigner, un médecin a décidé de vous opérer, dès votre sixième mois. Le principe de l’opération était très simple : on ouvre le coup de pied, on casse tout en mille morceaux, on referme, et on attend que ça se solidifie.

On recommence tant que le pied n’est pas droit.

Vous subirez cette opération tous les 4-6 mois jusqu’à vos 5 ans. Deux belles cicatrices en témoignent.

C’est dire que vous n’avez marché que vers cet âge là. Vous restiez assis à composer des puzzle ou à faire des jeux de société en solitaire, jouant tout à la fois plusieurs joueurs pour que la partie soit plus passionnante. Vous vous mettiez dans des rôles.

Durant cette période, les gens ne cessaient de vous expliquer tout ce que vous ne pourrez jamais faire : courir normalement, jouer au foot, être normal avec votre handicap, les randonnées ou le sport en général. On vous expliquait que ce serait bien, d’être un intellectuel.

À force de présenter tout ce que vous ne pouviez pas faire, vous avez pris l’habitude de démontrer à ces “sages” que rien n’est inscrit dans le marbre. À 16 ans, vous étiez en équipe suisse de saut à la perche, à 20 ans vous signiez une décharge de responsabilité pour entrer dans l’armée, à 24 ans vous marchiez 100 kilomètres.

Avide de liberté !

Cette même liberté que vous ressentez lorsque vous chevauchez votre moto.

Vous êtes quelqu’un sans limite, sans lois, sans principes acquis. Chaque valeur que vous suivez est le fruit d’une réflexion, mais surtout pas de votre éducation ou de votre entourage. D’ailleurs, vous allez même jusqu’à faire évoluer ces valeurs à chaque fois qu’elles en ont besoin. Vous les remettez ainsi en question souvent, pour être sûr que ces axiomes qui canalisent votre vie sont adaptés à la situation.

Votre voyage est l’aboutissement de cette liberté.

Il est aussi une manière de dire au monde entier que vous ferez de toute manière ce que bon vous semble, littéralement. Il ne sert à rien de vous mettre la pression, vous êtes un homme qui choisit ses combats, et en particuliers le temps où il les mènera.

Jusqu’à Agadir, c’était la partie “touristique” de votre voyage. Demain, vous reprendrez la route pour affronter le désert et enjamber votre première vraie frontière, celle de la Mauritanie. Vous aurez besoin de 8 jours environ pour atteindre le Sénégal.

Il est temps de dormir.

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