10. Le Bivouac

10. Le Bivouac

Vendredi, Novembre 22, 2024 [ROMAN]

Chapitre 10 IOVMEDR

PARTIE II DIRECTION LE SUD

10. Le bivouac

Vous êtes parti comme prévu, lundi, juste après votre repas.

Vous avez embrassé Charlotte. Vous êtes monté sur votre moto pour tailler la route, sans vous retourner.

C’est étrange comme cela vous a fait mal, de laisser derrière vous tout cela. Comme si vous aviez la possibilité de tout annuler, de rester, de poursuivre votre vie de paranoïaque déçu.

Ce voyage, vous vous l’imaginez comme un passage chez le dentiste, ou une opération de l’appendicite : ce n’est pas agréable, mais votre vie sera mieux après.

Vous ne pouvez pas continuer à rester ainsi, vous devez agir. C’est votre seule chance de survivre.

Vous avez avalé les kilomètres, d’abord par la Forclaz, puis Albertville jusqu’à votre première étape Grenoble. Le lendemain, la route des grands Alpes et raccord sur l’autoroute pour finir à la frontière avec l’Espagne. Une troisième étape jusqu’à Valence, la suivante jusqu’à Malaga et le vendredi, après 2’000 kilomètres à vitesse élevée, vous prenez le ferry à Tarifa pour atteindre votre objectif premier, le continent Africain.

En y réfléchissant, ces kilomètres d’autoroute font partie intégrante du voyage, mais vous n’aimez pas cela. Vous vous êtes empressé de quitter le vieux continent pour aller aussi vite que possible vers l’inconnu. Vous aviez la certitude que le détroit de Gibraltar serait votre point de non-retour, comme si jusque là, sur un seul coup de fil de vos enfants, de la police, d’un juge ou d’un avocat, pouvait vous obligé à faire demi-tour.

La pression est redescendue dès les premières secondes à Tanger. Vous n’avez pas fait beaucoup de chemin ce jour-là, vous avez rejoint un hôtel de routier, à 30 euros la nuit, pour enfin déguster votre bonheur de commencer votre voyage.

Le lendemain, vous vous êtes enfoncé dans les terres pour terminer en bivouac dans un camping pas loin de Fès. Vous avez roulé un peu plus de 4 heures. Vous avez trouvé ce camping qui a l’air sympa. Il promettait du wifi, en vrai disponible seulement sur la route un peu plus loin. Vous avez fait la totale : viande grillée, sardines, bière.

C’est un peu basique, mais vous avez aimé. Bienheureux celui qui dispose de sel et de paprika dans ses affaires de camping. Il ne vous a manqué qu’une sauce marocaine ou juste de la moutarde.

Demain !

Pas de wifi, donc pas de réseau, donc pas de nouvelles, donc pas de story sur les réseaux sociaux. Le soleil s’est couché vers 19 heures. Vous l’avez regardé s’éteindre. Vous avez fait: rien ! Strictement rien !

Cela vous a rappelé le bon vieux temps, celui où les téléphones portables n’existaient pas. Comme à l’époque, vous avez eu une pensée pour ceux que vous aimez. Vous espérez qu’ils se portent bien. Vous n’êtes pas contre les téléphones portables, bien au contraire, vous maximisez la sécurité de votre expédition grâce à ce genre d’outil d’ailleurs, mais il est bon de se rappeler qu’avoir un téléphone portable ne signifie pas “être toujours atteignable”. Vous vous dites que vous utilisez trop de temps sur cet engin, que lorsque vous attendez un appel, vous consultez les réseaux sociaux et que quand vous avez assez “scrollé”, alors vous faites un petit jeu stupide, rapide.

Vous prenez conscience que vous ressembliez alors à quelqu’un qui attend la mort. Comme si le temps dont vous disposiez entre le moment de votre naissance et celui de votre mort était trop long, si long que vous deviez en remplir les vides avec des activités sans sens.

Dans le stress de la vie de tous les jours, vous avez oublié de vivre intensément.

Ce bivouac est l’occasion de vous recentrer.

Vous vous souvenez avec nostalgie de votre école de recrue. Vous étiez parti pour faire la spécialisation “explosif” sur une montagne au-dessus de Martigny, une trentaine de soldats, un chef, un cuisinier à tout faire et c’est tout.

Pour atteindre ce lieu d’exercice, vous aviez commandé un camion qui vous avez déposé tout en haut d’une route, puis vous aviez marché une petite heure jusqu’au campement que vous aviez alors organisé pour y vivre une semaine.

Vous saviez seulement que le camion reviendrait vous chercher au même point vendredi à 14 heures. Entre les deux, il y avait intérêt à ne pas se louper : quantité d’eau, de nourriture, et tout ce qui est nécessaire à la vie en communauté. Un oubli signifiait 4-5 heures de marche, alors vous préféreriez tous réfléchir.

Aujourd’hui, s’il manque quelque chose, un simple appel et le problème est résolu. C’est d’ailleurs tellement simple, un coup de fil, que la plupart préfèrent ne plus prendre le temps de réfléchir, ils y remédieront en temps voulu.

C’est durant votre formation militaire que vous avez appris à apprécier le bivouac. Pour vous, c’est un peu le manuel des Castors Junior. Vous aimez la solitude que le bivouac vous propose. Exactement l’inverse du camping, ceci dit. Vous n’aimez pas vivre en communauté. Vous ne comprenez pas pourquoi lorsque vous prenez des vacances, il faudrait à tous prix reconstruire les usages de la vie villageoise de votre enfance plutôt que de découvrir autre chose.

Vous avez un sourire en pensant à ceux qui aiment le camping.

Vous respectez cela, mais ce n’est pas votre truc, voilà tout.

Tandis qu’au milieu de nulle part, c’est autre chose.

Ici au Maroc, il est fortement déconseillé de faire du camping sauvage. Vous vous pliez aux règles. C’est mieux ainsi. Vous aurez assez de défis sans vous en créer de nouveaux.

Ce voyage est un retour à ce que vous êtes vraiment.

Un retour à votre adolescence.

Une suite de votre enfance.

Une nouvelle ère d’adulte.

Demain, Casablanca !

Gaillard
Ecrit
Mercredi, Février 5, 2025
Ceux qui aiment le camping te salue 😎 mais surtout on aime le camping pour trouver le calme et la solitude (oui oui c’est possible). <br />Tes écrits nous passionnent et font écho à nos vies, l’ami.
Pyf
Ecrit
Jeudi, Février 6, 2025
Très heureux que cela vous parle, gros becs chez vous !
Recherche